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Ateliers d'étude du Shôbôgenzô avec Yoko Orimo
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Ateliers d'étude du Shôbôgenzô avec Yoko Orimo
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28 mars 2013

Zazenshin traduction

 

MAXIMES DE LA MÉDITATION ASSISE

 

Zazenshin   坐禅箴

 

Introduction, traduction et notes de Yoko Orimo

Extrait de :

 Shôbôgenzô, La Vraie Loi, Trésor de l'œil ; Traduction intégrale, tome 1  (Ed. Sully)

Donné pour les ateliers d'avril-mai 2013 à l'Institut d'Études Bouddhiques

 

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Fichier pdf  : ZAZENSHIN_Intro_traduction_notes_Y_Orimo

 

INTRODUCTION

 

Dans le titre original en japonais Zazenshin (Maximes de la méditation assise), le terme zazen (la méditation assise) estsuivi par le caractère shin. Celui-ci a pour clé le « bambou », etpour corps le verbe « attacher, joindre, relier », lequel verbeporte comme élément composant la « pique ». Au sens propre,le caractère shin désigne l’aiguille de bambou servant à attacherdes tissus à coudre, ou l’aiguille de pierre utilisée enmédecine chinoise. L’aiguille est un instrument qui pique pourpénétrer l’intérieur, d’où le sens figuré du caractère shin du Zazenshin : « maxime, précepte, avertissement », etc., devantpiquer nos cœurs pour les pénétrer.

Maximes de la méditation assise fut rédigé le 18 du troisième mois de la troisième année de l’ère Ninji (1242) au monastère Kôshô-ji à Kyôto. Il fut exposé le onzième mois de la quatrième année de l’ère Ninji (1243) au temple Yoshimine shôja1 dans la province d’Echizen. Notons que le Zazenshin est un des textes atypiques, en ce sens qu’on compte vingt mois d’écart entre le moment de sa rédaction et le jour où il fut exposé. Il est classé douzième texte de l’Ancienne édition, et précédé par son texte jumeau le Zazengi (La manière de la méditation assise)2.

Le Zazengi (La manière de la méditation assise) et le Zazenshin (Maximes de la méditation assise) furent exposés, l’un après l’autre, dans le même lieu, au même mois de la même année. Si ce dernier témoigne, par sa puissance spéculative, du sommet qu’a atteint la pensée de Dôgen dans les années 1242-1243, le premier est un des textes les plus courts et les plus simples du Shôbôgenzô, et se contente de donner des indications matérielles quant à la pratique de la méditation assise.

Rappelons que le moment où furent exposés ces textes jumeaux se situe quatre mois après l’installation définitive de Dôgen dans la province d’Echizen3. En attendant l’inauguration du nouveau monastère Daibutsu-ji (Le grand Éveillé) pour le printemps 1244, le maître accrochait son bâton au temple Yoshimine, et exposa au total vingt-six textes du recueil. Si l’on ajoute à ce compte six autres textes exposés à l’ermitage Yamashibu4, plus d’un tiers du recueil fut produit à cette période de transition qui dura environ un an. C’est donc dans ces lieux de séjour, lieux provisoires, et auprès d’un nombre d’auditeurs probablement très restreint que le Shôbôgenzô a connu la période la plus féconde de sa production.

 

Notes de l'Introduction :

1. Le temple Yoshimine fut le premier lieu de séjour de Dôgen à son arrivée dans la province d’Echizen. D’après la Chronique de Kenzei [Kenzei ki] – biographie de Dôgen compilée vers 1472 par Kenzei, le quatorzième patriarche du temple de la Paix éternelle –, il y séjourna jusqu’au 7 du sixième mois de la deuxième année de l’ère Kangen (1244). Dans les vestiges du temple Yoshimine se trouve actuellement le temple Kippô-ji, construit par Busshin Tanaka à l’époque Meiji (1868-1912). « Kippô » est la lecture chinoise [on] du même nom propre « Yoshimine », lecture japonaise [kun], qui veut dire le « pic de bon augure » ou le « pic d’auspices heureux ».

2. Pour la traduction du Zazengi (La manière de la méditation assise), voir Yoko Orimo, La vraie Loi, Trésor de l’OEil – Textes choisis du « Shôbôgenzô », collection Points Sagesse, éditions du Seuil, Paris 2004.

3. Pour des raisons encore inconnues, Dôgen abandonne soudain le monastère Kôshô-ji à Kyôto après le 16 du septième mois de la première année de l’ère Kangen (1243), et arrive vers la fin du même mois au temple Yoshimine dans la province d’Echizen.

4. L’ermitage Yamashibu se trouvait à environ 15 km au sud-est du temple Yoshimine. Dôgen fréquentait ce lieu en hiver 1243.

 

TEXTE

 

Lorsque maître Yakusan Kôdô[1] méditait en posture assise, un moine demanda un jour : « Que pensez-vous en restant immobile, assis sur le sol ? » Le maître dit : « Je pense la non-pensée. » Le moine demanda : « Comment peut-on penser la non-pensée ? » Le maître dit : « Par ce qui n’est pas de l’ordre de la pensée.[2] »

Faites l’étude de la méditation assise en attestant[3] que telle est la parole du grand maître. Transmettez-la avec justesse. C’est réfléchir à fond sur le fait que la méditation assise est transmise dans la Voie de l’Éveillé. Nombreux sont ceux qui ont pensé la méditation assise ; la parole de Yakusan est une parmi d’autres : « Je pense la non-pensée », dit-il. Là, il y a la peau, la chair, les os et la moelle de la pensée ainsi que la peau, la chair, les os et la moelle de la non-pensée.

« Comment », demanda le moine, « peut-on penser la non-pensée ? » En vérité, même si la non-pensée est une penséeancienne, on se demande toujours comment la penser. N’yaurait-il pas de pensée lorsqu’on est assis au sol, parfaitementimmobile ? (En ce cas-là,) par quoi l’aller au-delà[4] de la méditationassise pourrait-il se communiquer ? À moins que voussoyez stupide et superficiel, vous devez avoir la force deposer la question sur la méditation assise et la pensée decelle-ci.

Le grand maître répondit : « Je pense par ce qui n’est pas de l’ordre de la pensée. » Bien que l’emploi de ce qui n’est pasde l’ordre de la pensée soit limpide[5], on utilise toujours ce quin’est pas de l’ordre de la pensée pour penser la non-pensée. Ily a quelqu’un dans ce qui n’est pas de l’ordre de la pensée, etc’est ce quelqu’un[6] qui m’assume et qui me garde. Bien que cesoit moi qui reste au sol, parfaitement immobile, ce n’est passeulement la pensée, mais aussi la méditation assise qui relèventla tête. Bien que la méditation assise soit la méditationassise, comment saurait-elle penser elle-même ? Si cela estainsi, rester parfaitement immobile, assis au sol, n’est pas à lamesure de l’Éveillé, ni à la mesure de la Loi, ni à la mesure del’Éveil, ni à la mesure de la compréhension. Yakusan, en transmettantainsi la méditation assise dans sa pureté[7], se trouvedéjà à la trente-sixième génération depuis l’Éveillé-Shâkyamuni. Si l’on remonte la lignée de la transmissiondepuis Yakusan, c’est à la trente-sixième génération que setrouve l’Éveillé-Shâkyamuni. Lorsqu’on transmet ainsi laméditation assise avec justesse, la non-pensée qu’on pense estdéjà là.

Cependant, voici ce que disent les laxistes fautifs de nos jours : « La pratique de la méditation assise n’a pour but que d’obtenir la paix intérieure, c’est-à-dire l’état de quiétude. » Cette opinion ne vaut même pas les savants du Petit Véhicule ; elle est encore inférieure aux véhicules des hommes et des dieux[8]. Comment pourrait-on considérer ces gens-là comme des gaillards qui étudient la Loi de l’Éveillé ? En Chine actuelle sous la dynastie des Song, nombreux sont les pratiquants de la sorte. Déplorez cette dégénération de la Voie des patriarches.

Il existe aussi un autre clan de gaillards qui disent : « Pratiquer la Voie moyennant la méditation assise est la dynamique essentielle pour les débutants et les jeunes pratiquants, mais elle n’est pas forcément la pratique quotidienne des éveillés et des patriarches. Marcher est aussi le zen, s’asseoir est aussi le zen. Qu’on parle ou qu’on se taise, qu’on soit en repos ou en mouvement, la substance est apaisée. Ne vous préoccupez donc pas uniquement de la pratique ingénieuse[9] de ce moment. » Parmi les soi-disant épigones de Rinzai[10], beaucoup sont de cette opinion. La vraie vie de la Loi de l’Éveillé leur étant si peu transmise, ils disent ainsi. Qui est donc débutant[11], qui ne le serait pas, et où pourrait-on le placer ?

Sachez-le, selon la recherche telle qu’elle est préconisée dans les études de la Voie, la pratique de la Voie s’effectue moyennant la méditation assise. Voici l’enseignement essentiel promulgué à ce sujet : il y a la pratique de l’Éveillé qui ne cherche pas à faire de soi un éveillé. Puisque la pratique de l’Éveillé ne consiste nullement à faire de soi un éveillé, le kôan se réalise comme présence. L’éveillé réalisé en chair et en os est tout autre que l’éveillé à faire de soi. Du moment que l’on brise ce panier et ce filet[12], être assis en éveillé n’empêchera nullement de faire de soi un éveillé. À ce-juste-moment-tel-quel, mille et dix mille ères antiques manifesteront ensemble leur force originelle en entrant en contact avec l’Éveillé et avec le diable. L’avancée et le recul (des pratiquants) auront tous deux la mesure pour remplir intimement et le fossé et la vallée.

*

Lorsque maître Daijaku Kôzei[13] faisait les études auprès de maître Nangaku Daie[14], Daijaku pratiquait toujours la méditation assise depuis que son maître lui avait conféré le sceau du cœur de l’Éveillé (la transmission de la Voie). Un jour Nangaku lui posa la question : « Dans quel dessein pratiques-tu la méditation assise ? (En pratiquant la méditation assise, que dessines-tu ?)[15] ».

À tête reposée, étudiez à fond et pratiquez avec ingéniosité cette question. Y aurait-il un dessin (dessein) à réaliser au-delà de la méditation assise, ou bien, l’expression qui devrait se dessiner en dehors de la méditation assise n’est-elle pas encore réalisée ? Ne faudrait-il avoir aucun dessein (dessin), ou bien, la question consisterait-elle à savoir quel dessin (dessein) se réalise comme présence au juste moment de la méditation assise ? Pratiquez-le avec ingéniosité et minutie.

Aimez volontiers le vrai dragon plutôt que le dragon sculpté. Sachez-le, le dragon sculpté et le vrai dragon ont tous deux la puissance de faire pleuvoir. Ne vénérez pas ce qui vous est lointain ; ne le méprisez pas non plus. Apprivoisez-vous au lointain. Ne méprisez pas ce qui vous est proche ; ne le vénérez pas non plus. Apprivoisez-vous au proche. Ne prenez pas à la légère vos yeux ; ne leur donnez pas non plus trop de poids. Ne donnez pas trop de poids à vos oreilles ; ne les prenez pas non plus à la légère. Rendez clairs et limpides et vos yeux et vos oreilles.

Kôzei dit : « J’ai le dessein de faire de moi un éveillé. » Clarifiez cette réponse et faites-la vôtre. Que doit vouloir dire : « faire de soi un éveillé » ? Veut-il dire que l’Éveillé fait de vous des éveillés, ou bien, vous faites (à partir) de l’Éveillé des éveillés ? S’agit-il de faire ressortir l’un de ces deux aspects de l’Éveillé, ou bien, s’agit-il de faire ressortir ces deux aspects de l’Éveillé ? Avoir le dessein de faire de soi un éveillé n’étant autre que de se dépouiller, s’agit-il du dessein qui se dépouillerait de lui-même ? Même s’il s’agit de faire de soi un éveillé à dix mille facettes différentes, est-ce l’entrelacement[16] de ces desseins qui est appelé : « avoir le dessein de faire de soi un éveillé » ?

Sachez-le, le mot de Daijaku veut dire que la méditation assise consiste toujours à avoir le dessein de faire de soi un éveillé et qu’elle est toujours le dessin d’un éveillé à faire. Le dessin (dessein) doit exister avant de faire de soi un éveillé, après avoir fait de soi un éveillé et à ce-juste-moment-tel-quel où on fait de soi un éveillé. Si l’on pose encore des questions, un seul dessin d’éveillé serait-il déjà entrelacé à combien d’autres dessins d’éveillé ? Cet entrelacement devrait être encore entrelacé à d’autres entrelacements. À ce moment-là, c’est un entrelacement juste de tous les dessins des éveillés qui s’avèrent justes et qui vont toujours tout droit à l’essentiel. N’évitez pas (de faire) un seul dessin (dessein). Quand on évite (de faire) un seul dessin (dessein), on perd et le corps et la vie. Quand on perd et le corps et la vie, c’est un seul dessin (dessein) entrelacé à lui-même.

Nangaku prit alors une tuile et se mit à la polir sur une pierre. Daijaku demanda finalement : « Maître, que faites-vous ? »Vraiment, qui ne verrait pas que c’est un polissage de tuile, et qui verrait que c’est un polissage de tuile ? Et pourtant, le polissage de tuile a ainsi suscité la question : « Que faites-vous ? » « Que faites-vous ? » est toujours le polissage de tuile. Bien que ce monde terrestre diffère de l’autre monde, il doit exister l’enseignement essentiel selon lequel le polissage de tuile n’a jamais cessé. Soyez-en donc persuadés une fois pour toutes : non seulement votre point de vue n’est pas à déterminer comme le vôtre, mais il doit aussi exister l’enseignement essentiel à étudier dans les œuvres des dix mille domaines. Sachez-le, comme vous ne connaissez pas l’Éveillé ni ne le comprenez, tout en le voyant, vous ne connaissez ni l’eau ni la montagne, tout en les voyant. Il n’est pas conforme à l’étude de l’Éveillé de conclure trop vite que l’existant qui se présente devant vos yeux ne doit guère contenir le chemin (vers l’Éveil).

Nangaku dit : « Je polis une tuile pour en faire un miroir. » Clarifiez le sens de cette réponse. Quand on polit une tuile pour en faire un miroir, il y a toujours le principe de la Voie[17], et le kôan se réalise comme vision. Cela ne doit pas être une vaine instruction. Sachez-le, bien que la tuile soit tuile et que le miroir soit miroir, la multitude des enseignements seront promulgués lorsque vous pénétrerez avec force le principe de ce polissage. Et le miroir ancien et le clair miroir pourront se faire miroirs grâce au polissage de tuile. Si vous ignorez que tous les miroirs proviennent du polissage de tuile, vous ne saurez prononcer la parole des éveillés et des patriarches, ni ne rencontrerez leur prédication, ni n’entendrez leur souffle.

Daijaku dit : « Comment, en polissant une tuile, peut-on réaliser un miroir ? » Vraiment, étant l’homme de fer qui nes’appuie sur aucune force extérieure, le polissage de tuile neconsiste pas à devenir (réaliser)[18] un miroir. Même si tout autreest la réalisation d’un miroir, elle doit être immédiate.

Nangaku dit : « Comment, en pratiquant la méditation assise, peut-on faire de soi un éveillé ? » Nous le savons clairement: il y a le principe de la Voie selon lequel la méditationassise n’attend pas qu’on fasse de soi un éveillé. Faire de soiun éveillé ne regarde pas la méditation assise, voilà l’enseignementessentiel qui ne se cache pas.

Daijaku dit : « Qu’y a-t-il de bon à faire alors ? » Quoique cette question ressemble tout simplement à celle qu’on entend ici et là, elle se situe en même temps à un tout autre niveau. Il faut, par exemple, connaître le moment favorable où les deux amis intimes se rencontrent face à face. Si l’autre est un ami intime pour moi, (je suis) un ami intime pour l’autre. La question : « Qu’y a-t-il de bon à faire alors ? » n’est autre que la manifestation simultanée de ces deux côtés.

Nangaku dit : « Si l’on dirige un char et que le char n’avance[19] pas, est-ce bon de frapper le char ou est-ce bon de frapper le bœuf ? » Réfléchissez pour l’instant à ce que signifientl’avancement du char et le non-avancement du char. Parexemple, l’écoulement de l’eau est-il l’avancement du char,ou bien, est-ce le non-écoulement de l’eau qui est l’avancementdu char ?[20] Il faudrait dire que l’écoulement est le non-avancement(la non-pratique) de l’eau. Il se peut aussi quel’avancement (la pratique) de l’eau ne soit pas l’écoulement.S’il en est ainsi, lorsque vous étudiez à fond la proposition : « si le char n’avance pas », il faut considérer qu’il y a le non-avancement et qu’il n’y a pas le non-avancement, car (l’avancement et le non-avancement) doivent être le temps. En disant : « si le char n’avance pas », Nangaku n’a pas seulement parlé du non-avancement.

« Est-ce bon », demanda-t-il, « de frapper le char ou est-ce bon de frapper le bœuf ? » Faudrait-il frapper aussi bien le char que le bœuf ? Frapper le char serait-il pareil ou non à frapper le bœuf ? Nous le savons maintenant : quoique ni le monde ni le commun des mortels n’enseignent à frapper le char, la Voie de l’Éveillé enseigne à frapper le char. Voilà l’Œil  de vos études ! Même si vous comprenez qu’existe l’enseignement qui préconise de frapper le char, cela ne devrait pas être pareil à frapper le bœuf ; pratiquez-le avec ingéniosité et minutie. Même si le monde a coutume d’enseigner à frapper le bœuf, étudiez et recherchez encore ce que signifie frapper le bœuf selon la Voie de l’Éveillé. Frapperait-on un buffle ou un bœuf de fer, ou un bœuf de boue ? Faudrait-il frapper avec le fouet, ou faudrait-il frapper avec l’univers entier ou avec le cœur entier ? Ou bien, faudrait-il frapper jusqu’à ce que jaillisse la moelle, ou faudrait-il frapper avec le poing ? Il doit y avoir la frappe du poing par le poing, la frappe du bœuf par le bœuf.

Daijaku ne répondit pas. Ne passez pas vainement à côté de cette non-réponse du maître. Il se peut qu’en rejetant une tuile, on obtienne une perle et qu’en tournant la tête, on change de face. Ne pillez donc jamais ce qu’est cette non-réponse.

Nangaku dit encore : « Tu étudies la méditation assise, c’est pour apprendre à être assis en éveillé. » En étudiant à fondcette parole, appropriez-vous justement la dynamique essentiellede l’enseignement du patriarche. Alors que vous nesavez pas encore comment aller tout droit à l’essentiel en étudiantde la méditation assise, vous savez déjà qu’elle consisteà apprendre à être assis en éveillé. S’il (Nangaku) n’était pasle descendant authentique de l’Éveillé, comment aurait-il pudire que l’étude de la méditation assise consiste à être assis enéveillé ? En vérité, sachez-le, la méditation assise des débutantsest la première méditation assise, et la première méditationassise consiste à être assis en éveillé pour la première fois.

Nangaku dit au sujet de la méditation assise : « Si tu étudies la méditation assise, elle n’est pas de l’ordre d’être assis ou couché. » Ce mot du maître veut dire que la méditation assiseest la méditation assise et qu’il ne s’agit pas d’être assis oucouché. Depuis que (les éveillés et les patriarches) onttransmis cet enseignement dans sa pureté, c’est l’infinité desmouvements de nous asseoir et de nous coucher qui est devenuele Soi. Pourquoi vous demanderiez-vous alors si vous êtesproches ou éloignés de la veine vitale ? Comment discuteriez-vousde l’Éveil et de l’égarement ? Qui chercherait à supprimerles passions par la sagesse ?

Nangaku dit : « Si tu apprends à être assis en éveillé, l’Éveillé n’est pas de l’ordre[21] de l’aspect immuable. » C’estainsi que Nangaku glose sa parole précédente. Si être assis enéveillé se manifeste en tant qu’un ou deux éveillés, c’est parcequ’il a pour splendeur de n’être pas de l’ordre de l’aspectimmuable de l’Éveillé. En disant que l’Éveillé n’est pas del’ordre de l’aspect immuable, Nangaku expose l’aspect del’Éveillé. Puisque l’Éveillé n’est pas de l’ordre de l’aspectimmuable, il est tout à fait impossible d’éviter d’être assis enéveillé. S’il en est ainsi, étant donné la splendeur de n’être pasde l’ordre de l’aspect immuable de l’Éveillé, l’étude de laméditation assise consiste à être assis en éveillé. S’agissantdes existants qui ne demeurent nulle part, qui pourrait choisirceux qui sont de l’Éveillé et rejeter ceux qui ne le sont pas ?Puisqu’on se dépouille d’avance de ce choix, on est assis enéveillé.

Nangaku dit : « Si tu es assis en éveillé, cela n’est autre que tuer l’Éveillé. » Quand on apprend encore en profondeur à êtreassis en éveillé, on acquiert le mérite de tuer l’Éveillé. À ce juste-moment-tel-quel où on est assis en éveillé, on tuel’Éveillé. Si l’on réfléchit, tuer l’Éveillé doit avoir toujours lesmarques et la claire Lumière[22] de l’être assis en éveillé. Mêmesi le mot « tuer » est semblable au langage du commun desmortels, ne le confondez pas simplement avec ce dernier. Ilfaut aussi étudier à fond comment et sous quelles formes êtreassis en éveillé n’est autre que tuer l’Éveillé. En relevant et entriturant la vertu acquise de l’Éveillé qui consiste déjà à tuerl’Éveillé, réfléchissez également si nous avons déjà tuél’homme ou ne l’avons pas encore tué.

(Nangaku continue) : « Si tu tiens à l’aspect assis, tu n’atteindras pas le principe de la Voie. » Tenir à l’aspect assisveut dire que, en rejetant l’aspect assis, on le souille[23]. Ceprincipe met en évidence que, du moment qu’on est déjà assisen éveillé, il est impossible de ne pas tenir à l’aspect assis.Puisqu’il est impossible de ne pas y tenir, malgré la limpiditéde l’aspect assis auquel on tient, on n’atteindra pas le principede la Voie. Telle est la pratique ingénieuse appelée ledépouillement du corps et du cœur. Ceux qui ne se sontjamais assis en éveillé ne sauraient prononcer ce mot. Celui-ciappartient au moment d’être assis, à l’homme assis, àl’Éveillé assis, à l’étude de l’être assis en éveillé. Être assisen éveillé ne concerne pas le simple mouvement de s’asseoirou de se coucher chez l’homme. Bien que l’homme assis ressembleà l’être assis en éveillé et à l’éveillé assis, c’estcomme s’il y avait l’éveillé qui fait de soi un homme etl’homme qui fait de soi un éveillé. Quoiqu’il y ait deshommes qui font d’eux des éveillés, tous les hommes ne lefont pas, et les éveillés ne sont pas tous les hommes. Puisquetous les hommes ne sont pas seulement tous les hommes, leshommes ne sont pas toujours les éveillés, et les éveillés nesont pas toujours les hommes. Être assis en éveillé est égalementainsi.

Tel est le dialogue de Nangaku, maître éminent, et Kôzei,disciple vaillant. C’est Kôzei qui atteste qu’être assis enéveillé n’est autre que faire de soi un éveillé, et c’est Nangakuqui enseigne à être assis en éveillé pour qu’on fasse de soi unéveillé. Il y a eu une telle pratique ingénieuse dans l’école deNangaku et une telle instruction à l’école de Yakusan. Sachez-le,c’est en étant assis en éveillé que les éveillés et lespatriarches puisent leur dynamique essentielle. Ceux qui sontdéjà là en tant qu’éveillés et patriarches ont tous fait l’usagede cette dynamique essentielle. Ceux qui n’en sont pas làn’ont pas encore vu celle-ci, même en rêve.

*

En général, si la Loi de l’Éveillé est transmise dans le ciel de l’ouest (l’Inde) et sur la terre de l’est (la Chine), c’est que l’être assis en éveillé est toujours transmis. Car c’est cela qui est la dynamique essentielle. Là où la Loi de l’Éveillé n’est pas transmise, la méditation assise n’y est pas non plus transmise. Ce qu’on a transmis de génération en génération est seulement l’enseignement essentiel de cette méditation assise. Ceux qui n’ont pas encore transmis cet enseignement essentiel dans sa pureté ne sont ni éveillés ni patriarches. Tant qu’on ne clarifiera pas cet unique enseignement, on ne clarifiera pas non plus les dix mille enseignements ni les dix mille pratiques. N’appelez pas clairvoyants ceux qui n’ont pas clarifié chacun des enseignements ; ils n’ont pas obtenu la Voie. Comment pourraient-ils alors se mettre au rang des éveillés et des patriarches de jadis et de maintenant ? Soyez-en donc persuadés une fois pour toutes : les éveillés et les patriarches transmettent toujours la méditation assise dans sa pureté.

Être éclairé par la claire Lumière des éveillés et des patriarches veut dire étudier à fond et pratiquer avec ingéniosité cette méditation assise. Les personnes non éclairées s’imaginent que la claire Lumière de l’Éveillé devrait être comme celles du soleil et de la lune, comme le lustre des joyaux et l’étincelle du feu. Cependant, le soleil et la lune, le lustre et l’étincelle ne sont que des aspects des actes[24] qui se montrent suivant le cycle des renaissances et les six voies d’existence ; ceux-là ne sont nullement à comparer avec la claire Lumière de l’Éveillé. La claire Lumière de l’Éveillé consiste à écouter et garder un seul mot dans le cœur, à maintenir et sauvegarder un seul enseignement, et à transmettre la méditation assise dans sa pureté. Qui n’arrive pas à être éclairé par la claire Lumière n’a ni ce maintien ni cette réception dans la foi

S’il en est ainsi, depuis le lointain passé, peu de gens connaissent que la méditation assise est la méditation assise. De nos jours, dans les montagnes, sous la dynastie des Song, nombreux sont les maîtres de grands temples du zen qui ne connaissent pas la méditation assise ni ne l’étudient. Ceux qui la connaissent en l’ayant clarifiée ne sont pas inexistants, mais peu nombreux. Bien entendu, le moment favorable[25] de la méditation assise est fixé dans chaque monastère. Depuis le supérieur jusqu’aux moines, tous considèrent la méditation assise comme leur occupation principale et recommandent celle-ci à ceux qui s’engagent dans les études de la Voie. Et pourtant, peu de supérieurs connaissent ce qu’est la méditation assise.

C’est pourquoi, depuis le lointain passé jusqu’à l’époque contemporaine, quelques anciens écrivirent des inscriptions sur la méditation assise, d’autres compilèrent des recueils sur la manière de la méditation assise, et d’autres composèrent des maximes de la méditation assise. Cependant, aucune de ces inscriptions ne mérite d’être retenue. Leurs manières de la méditation assise restent encore obscures quant à la pratique. Ce sont des écrits de ceux qui ni ne connaissent la méditation assise ni ne la transmettent dans sa pureté. Les maximes telles qu’on les trouve dans le Recueil de la transmission de la lampe de l’ère Keitoku[26], les inscriptions telles qu’on les trouve dans le Recueil de la lampe universelle de l’ère Katai[27], etc. sont de ce genre. (Ces anciens-là) sont à plaindre ! Bien qu’ils aient passé toute leur vie en parcourant des monastères dans les dix directions, ils ne pratiquèrent jamais avec ingéniosité, même une seule fois, la vraie méditation assise. La méditation assise étant déjà dissociée de vous-mêmes, la pratique ingénieuse ne vous rencontre nullement, face à face. Cela ne veut pas dire que la méditation assise repousse votre cœur et votre corps, mais c’est parce que vous vous enivrez trop vite sans vouloir pratiquer avec ingéniosité la vraie méditation assise.

Les écrits de ces anciens-là ne visent que le retour à la source et le rétablissement de l’état originel ; ils recherchent en vain l’arrêt de l’entendement et l’état de quiétude. Ils sont inférieurs aux étapes de la contemplation, de la purification, de l’imprégnation et de l’acquisition[28] ainsi qu’à la compréhension des dix terres et à celle de l’Éveil égal (à tous les Éveillés)[29]. Comment pourraient-ils alors transmettre la méditation assise des éveillés et des patriarches dans sa pureté ? C’est par erreur que les compilateurs sous la dynastie des Song recueillirent ces écrits-là. Les générations postérieures doivent les rejeter, et ne pas s’y référer.

S’agissant des maximes de la méditation assise, la seule qui mérite son nom et digne des éveillés et des patriarches est celle qui fut compilée par le maître du zen Wanshi[30], le supérieur Shôgaku du temple Keitoku-ji au mont Tendô de la province de Keigen-fu sous la grande dynastie des Song. Ce qui est dit dans cette maxime est juste. Seule, elle illumine avec clarté le plan de la Loi au recto et au verso[31]. Elle demeure au cœur des éveillés et des patriarches de jadis et de maintenant. C’est par cette maxime que se font guider l’éveillé d’avant et l’éveillé d’après, et c’est à partir de cette maxime que se réalisent comme présence les patriarches de nos jours et les patriarches du passé. La voici.

 

MAXIME DE LA MÉDITATION ASSISE

Compilée par le maître du zen Wanshi Shôgaku

La dynamique essentielle des éveillés (est) l’essence dynamique[32] des patriarches. Elle connaît le phénomène sans le souiller, elle éclaire l’objet[33] sans l’avoir en face. Connaissant le phénomène sans le souiller, cette connaissance est de soi-même subtile. Éclairant l’objet sans l’avoir en face, cet éclairage est de soi-même merveilleux. Cette connaissance est de soi-même subtile, puisqu’elle n’a jamais eu la moindre pensée discriminante. Cet éclairage est de soi-même merveilleux, puisqu’il n’a jamais eu le moindre paraître phénoménal. N’ayant jamais eu la moindre pensée discriminante, cette connaissance est indéfinissable et sans pareille. N’ayant jamais eu le moindre paraître phénoménal, cet éclairage est sans prise et accompli. L’eau est transparente jusqu’au fond ; le poisson y nage doucement. Le vaste espace est sans limites ; l’oiseau y vole au loin.

 

Le mot « maxime » de la « maxime de la méditation assise » signifie la fonction souveraine qui se présente devant les yeux des pratiquants ; il signifie la manière digne allant au-delà de la voix et des formes-couleurs. Il est la norme qui existait avant même les naissances du père et de la mère. Il veut dire : « Il est bon de ne calomnier ni les éveillés ni les patriarches, sinon nul n’éviterait de perdre le corps et la vie. » Il veut dire aussi : « La tête à trois shaku avec le cou à deux sun[34] ».

« La dynamique essentielle des éveillés. » Les éveillés prennent toujours les éveillés pour dynamique essentielle. Cette dynamique essentielle s’est réalisée comme présence, et voilà la méditation assise ! « L’essence dynamique des patriarches. » Aucun des maîtres anciens ne laissa de mot sur ce terme ; ce principe de la Voie n’est autre que les patriarches ! Il y a la transmission de la Loi et celle de la robe de l’Éveillé. En général, la face dont on change en tournant la tête n’est autre que la dynamique essentielle des éveillés, et la tête qu’on tourne en changeant de face n’est autre que l’essence dynamique des patriarches.

« Elle connaît le phénomène sans le souiller. » Bien entendu, la connaissance en question n’a rien à voir avec la perception qui n’est qu’une (connaissance de) petite mesure. Elle n’est pas non plus la connaissance telle qu’on l’acquiert par la faculté intellectuelle, laquelle est de l’ordre du confectionné. C’est pourquoi la connaissance consiste à ne pas souiller le phénomène ; ne pas souiller le phénomène est la connaissance. Ne considérez pas celle-ci comme omniscience ; ne la limitez pas non plus à la connaissance de soi. Ne pas souiller le phénomène veut dire : « Frapper la tête claire à la venue de la tête claire, frapper la tête noire à la venue de la tête noire[35] ». Il veut dire aussi : « Par la méditation assise, on déchire la peau qu’on a reçue de la mère. »

« Elle éclaire l’objet sans l’avoir en face. » L’éclairage en question n’est ni éclairage matériel ni éclairage spirituel. C’est un éclairage qui consiste à ne pas avoir d’objet en face. Il y a l’éclairage qui ne se transforme pas en objet, puisque l’objet comme tel n’est autre qu’un éclairage ! « Sans avoir en face » veut dire que cet univers entier n’a jamais rien caché et que, si on le brisait, rien ne s’y dévoilerait. Que c’est subtil et merveilleux ! (Les choses) s’interpénètrent les unes les autres sans s’interpénétrer.

« Cette connaissance est de soi-même subtile, puisqu’elle n’a jamais eu la moindre pensée discriminante. » Que la pensée soit la connaissance ne s’appuie pas toujours sur la force extérieure. Cette connaissance est la Forme, et la Forme est les montagnes et les rivières[36]. Ces montagnes et ces rivières sont subtiles, et cette subtilité est une merveille ! C’est au moment de l’usage que cette merveille se manifeste en pleine vitalité ! Quand on fait un dragon, on ne demande pas si le dragon se trouve à l’intérieur ou à l’extérieur de la porte de sa montée. Faire l’usage d’une seule connaissance de ce moment, si peu que ce soit, consiste à connaître en triturant, avec toutes nos forces, cet univers entier, les montagnes et les rivières. Si notre connaissance n’était pas en toute intimité avec les montagnes et les rivières, nous n’aurions ni une seule connaissance ni la moindre compréhension. Ne vous plaignez pas en disant que la connaissance et le discernement tardent à venir. Les éveillés qui avaient jadis déjà[37] eu le discernement se sont déjà réalisés comme présence. « Ne jamais avoir eu » est le déjà là de jadis, et le déjà là de jadis est la réalisation comme présence. S’il en est ainsi, « ne jamais avoir eu la moindre pensée discriminante » veut dire que personne ne rencontre personne[38].

« Cet éclairage est de soi-même merveilleux, puisqu’il n’a jamais eu le moindre paraître phénoménal. » Le « moindre » en question désigne l’univers entier. Cependant, cet éclairage est de soi-même merveilleux ; il s’éclaire de soi-même. C’est pourquoi c’est comme s’il n’était jamais venu au monde. Ne doutez pas de vos yeux ; ne croyez pas vos oreilles. Clarifiez directement l’enseignement essentiel en dehors du sens ; ne prenez pas la norme au-dedans des mots. Voilà l’éclairage ! C’est pourquoi il est indéfinissable ; c’est pourquoi il est sans prise. Puisqu’on a gardé cet éclairage comme sans pareil et qu’on l’a maintenu comme accompli, j’en ai eu d’autant plus de doutes.

« L’eau est transparente jusqu’au fond ; le poisson y nage doucement. » « L’eau est transparente » veut dire que l’eau qui remplit l’espace n’atteint pas le fond de cette eau transparente. Inutile de dire que l’eau qui se répand dans ce monde réceptacle n’est pas l’eau de cette eau qui est transparente. Sans rivage ni rive où qu’elle aille, voilà ce qu’on appelle l’eau transparente jusqu’au fond ! Si le poisson y nage, son avancement (la pratique) n’est pas inexistant. Bien qu’il avance à plusieurs dizaines de milliers de distances, son avancement est sans mesure et sans limites. Puisqu’il n’y a ni rive à viser, ni air pour flotter, ni fond pour plonger, il n’y a personne qui puisse mesurer son avancement. Si l’on prend la mesure pour objet de discussion, il n’y a que l’eau qui est transparente jusqu’au fond. La vertu acquise[39] de la méditation assise est comme cet avancement du poisson. Qui pourrait évaluer mille et dix mille distances qu’il aurait parcourues ? La distance parcourue dans son avancement jusqu’au fond n’est autre que la voie des oiseaux, de toute sa substance, sans avancement.

« Le vaste espace est sans limites ; l’oiseau y vole au loin. » Le vaste espace en question n’est pas tel qu’il est suspendu au ciel[40]. L’espace suspendu au ciel n’est pas le vaste espace. Inutile de dire que l’espace omniprésent, ici et là, n’est pas le vaste espace. Caché ou manifeste, il n’a ni recto ni verso, voilà ce qui est appelé le « vaste espace » ! Si l’oiseau y vole, ce n’est qu’une manière de voler dans cet espace. La pratique quotidienne[41] du vol dans cet espace n’est pas à mesurer. Le vol dans cet espace est l’univers entier, puisque l’univers entier est l’espace qui vole ! Quoique ce vol soit incommensurable, pour dire ce qui est hors de toutes mesures, on dit : « (voler) au loin ». C’est s’en aller sans laisser aucune trace derrière ses pas. Au moment où l’espace s’envole, l’oiseau aussi s’envole. Au moment où l’oiseau s’envole, l’espace aussi s’envole. Selon l’étude approfondie de cette envolée, elle consiste à être-là tout simplement ici et maintenant. Voilà la maxime de l’être assis sur le sol, parfaitement immobile. À parcourir des dizaines de milliers de distances, on exprime, à qui mieux mieux, cet être-là tout simplement ici et maintenant.

Telle est la maxime de la méditation assise du maître du zen Wanshi. Aucun des anciens de toutes les générations confondues n’a su composer une telle maxime. Même si les sacs puants de toutes les directions essayaient de faire des maximes pareilles avec toutes les forces qu’ils puiseraient dans une vie et dans une autre vie à venir, ils n’y arriveraient jamais ! De nos jours, on ne trouve de maxime en aucune région hormis celle de Wanshi. Au moment de la prédication, mon ancien maître disait toujours : « Wanshi est un ancien éveillé. » Il n’accordait jamais cette appellation aux autres gaillards. C’est lorsqu’on a l’Œil pour connaître l’homme qu’on doit aussi connaître le timbre de la voix[42] des éveillés et des patriarches. Vraiment, nous le savons, à l’école de Tôzan[43] existent des éveillés et des patriarches.

*

Plus de quatre-vingts années se sont écoulées depuis la disparition de maître Wanshi jusqu’à nos jours. En prenant la sienne pour modèle, je viens de compiler la présente maxime de la méditation assise. Aujourd’hui, nous sommes le 18 du troisième mois de la troisième année de l’ère Ninji (1242). On ne compte alors que quatre-vingt-cinq années à partir de cette année-ci jusqu’au 8 du dixième mois de l’année vingt-sept de l’ère Jôkô (1157, l’année de la mort de maître Wanshi). Voici la maxime de la méditation assise que je viens de compiler :

 

MAXIME DE LA MÉDITATION ASSISE

La dynamique essentielle des éveillés (est) l’essence dynamique des patriarches. Elle se présente sans pensée ; elle se réalise[44] sans interpénétration. En se présentant sans pensée, cette présence est une intimité en soi. En se réalisant sans interpénétration, cette réalisation est une attestation en soi. Intimité en soi, puisque sa présence n’a jamais eu la moindre souillure. Attestation en soi, puisque sa réalisation n’a jamais eu la moindre partialité. Cette intimité, qui n’a jamais eu la moindre souillure, est une intimité qui se dépouille sans rejet. Cette attestation, qui n’a jamais eu la moindre partialité, est une attestation qui se pratique avec ingéniosité, sans dessein (dessin). L’eau est transparente jusqu’à l’abysse ; le poisson y nage à l’image du poisson. Le vaste espace transperce le ciel ; l’oiseau y vole comme oiseau.

 

Bien que la maxime de la méditation assise de maîtreWanshi ne laisse rien à désirer, c’est ainsi qu’il faut exprimerencore. En général, les enfants et les petits-enfants des éveilléset des patriarches doivent toujours considérer la méditationassise comme la grande affaire de la vie. Tel est le sceauauthentique de la Voie transmise dans sa pureté.

 

 

Maximes de la méditation assise [Zazenshin],

Texte n° 12 de La vraie Loi, Trésor de l’OEil [Shôbôgenzô].

 

Rédigé le 18 du troisième mois de la troisième année

de l’ère Ninji (1242) au monastère Kôshô-ji.

 

Exposé le onzième mois de la quatrième année (1243)

de la même ère au temple Yoshimine-shôja de la préfecture

de Yoshida de la province d’Etsu.

 

 



[1] Yakusan Igen (Yaoshan, 751-834), disciple de Sekitô Kisen (Shitou Xiqian, 700-790). Il eut pour disciples éminents Ungan Donjô (Yunyan Jansheng, 782-841), Sensu Tokujô (Chuanzi), Dôgo Enchi (Daowu Yuanzhi, 769-835). Son nom honorifique est le grand maître Kôdô (Hongdao). Cf. Recueil de la transmission de la lampe de l’ère Keitoku [Keitoku dentô roku (Jingde chuandeng lu)], T. 51, n° 2076, livre 14 ; Textes choisis des lampes de l’école [Shûmon rentô eyô (Zongmen liandeng huiyao)], Zokuzô, tome 2, Otsu 9, 3-5, livre 19. Le présent dialogue est tiré du premier, livre 14, chapitre « Yakusan » (Yaoshan).

[2] Nous avons traduit le terme composé fu-shiryô par la « non-pensée », et hi-shiryô par « ce qui n’est pas de l’ordre de la pensée ». S’agissant du mot shiryô, il est composé de deux caractères : shi (la pensée) et ryô (la mesure), et désigne la pensée analytique et discriminante. Or, dans le terme fu-shiryô (la non-pensée) le mot shiryô est précédé par le préfixe privatif fu, et dans hi-shiryô (ce qui n’est pas de l’ordre de la pensée) par le préfixe privatif hi. L’essentiel de ce dialogue tient en effet à la subtile différence sémantique entre ces deux préfixes privatifs : fu et hi. Le premier indique l’absence de la chose niée tandis que le second indique la différence de niveau, la différence d’ordre.

[3] Nous traduisons le caractère shô par « attester ». Shô désigne en tant que substantif l’« Éveil attesté, l’attestation (de l’Éveil) ».

[4] Le terme kôjô, que nous avons traduit par l’« aller au-delà », est composé de deux caractères : (se diriger, l’orientation, l’autre côté) et (le haut, en haut, dessus, supérieur, etc.). Le terme kôjô dans le registre du zen ne désigne pas un simple avancement vers le haut ou une progression, mais une montée vers l’état absolu de l’Éveil où sont abolies toute opposition et toutes pensées discriminantes. D’où la traduction du terme kôjô proposée par certains spécialistes : le « non-attachement ».

[5] Le mot limpide [reirô] désigne littéralement le son cristallin d’une clochette, et exprime la limpidité et la pureté de la méditation assise. Celle-ci, pratiquée avec l’esprit de la gratuité et de la non-obtention [mu shotoku], doit se situer dans la sphère de la Vacuité [kû, skr. çunya].

[6] Ici figure le mot tare écrit en hiragana (l’alphabet japonais). Tare est un pronom indéfini qui désigne « quelqu’un » dont on ignore le nom. Il peut être également employé en tant que pronom interrogatif : « qui ».

[7] Le terme tanden, que nous avons traduit par « la transmission dans sa pureté », est composé de deux caractères : tan (le seul, l’unique, sans mélange) et den (transmettre, la transmission). L’auteur emploie ce terme tanden autant que le terme shôden (la transmission avec justesse). Au long du présent texte, le premier reviendra deux fois, et le dernier huit fois.

[8] Les véhicules des hommes et des dieux [nintenjô] sont les deux premiers des cinq véhicules [gojô] – le terme « véhicule » désigne « la méthode, le moyen, l’enseignement, la doctrine », etc. Les trois autres véhicules sont ceux des auditeurs [shômon, skr. çrâvaka], des éveillés pour soi [engaku, skr. pratyeka-buddha] et des êtres d’Éveil [bosatsu, skr. bodhisattva]. Cf. Glossaire.

[9] Le terme sino-japonais kufû, que nous traduisons « pratique ingénieuse », est en fait un terme très difficile à traduire. Dôgen l’emploie fréquemment afin d’inciter les pratiquants du zen à « travailler », c’est-à-dire à méditer avec l’esprit d’invention et d’ingéniosité. Voici ce que dit Anne Cheng sur ce terme kufû (gongfu), une idée associée en Chine à toute pratique à la fois physique et spirituelle. « Ce terme (...) désigne le temps et l’énergie que l’on consacre à une pratique dans le but d’atteindre un certain niveau – idée qui se rapprocherait à bon escient de la notion d’« entraînement », au sens sportif, chère à Michel Serres. Il s’agit donc de l’apprentissage d’un savoir-faire qui ne se transmet pas par les mots (...) » (Histoire de la pensée chinoise, p. 128, Collection Points Sagesse, éditions du Seuil, Paris, 1997).

[10] Rinzai Gigen (Linji Yixuan, ?-866), disciple d’Ôbaku Kiun (Huangbo Xiyun, mort en 850~9) et fondateur de l’école Rinzai (Linji). Son nom honorifique est le grand maître Eshô. Cf. Recueil de la transmission de la lampe de l’ère Keitoku, livre 12 ; Textes choisis des lampes de l’école, livre 9 ; P. Demiéville, Les Entretiens de Lintsi, Fayard, Paris 1972.

[11] Le terme shoshin (débutant), littéralement traduit le « cœur du commencement », est synonyme de hosshin (le premier déploiement du cœur de l’Éveil). Le pratiquant ne doit jamais oublier ce cœur du commencement [shoshin] quel que soit le degré de son cheminement dans la Voie.

[12] Le panier [ra] – capturant les oiseaux – et le filet [rô] – capturant les poissons – font écho à la métaphore de l’oiseau et à celle du poisson qui apparaîtront vers la fin du texte à deux reprises, d’abord dans la « Maxime de la méditation assise » compilée par maître Wanshi (Hongzhi) – voir p. 40 –, puis dans celle compilée par Dôgen lui-même. L’oiseau qui vole dans le vaste espace et le poisson qui nage dans l’eau transparente symbolisent les pratiquants de la méditation assise.

[13] Baso Dôichi (Mazu Daoyi, 709-788), disciple de Nangaku Ejô (Nanyue Huairang, 677-744). Parmi ses très nombreux disciples figurent Hyakujô Ekai (Baizhang Huanhai, 720-814), Banzan Hôshaku (Panshan Baoji), Daibai Hôjô (Damei Fachang, 752-839), Nansen Fugan (Nanquan Puyuan, 748-834), Mayoku Hôtetsu (Mayu Baoche), Bukkô Nyoman (Fogvang Ruman), etc. Son nom honorifique est le maître du zen Daijaku (Daji). Cf. Recueil de la transmission de la lampe de l’ère Keitoku, livre 6 ; Textes choisis des lampes de l’école, livre 4 ; Catherine Despeux, Les Entretiens de Mazu, maître chan du VIIIe siècle, Les Deux Océans, Paris, 1980.

[14] Nangaku Ejô (Nanyue Huairang, 677-744), disciple du sixième patriarche Daikan Enô (Dajian Huineng, 638-713). Son nom honorifique est le maître du zen Daie (Dahui). Cf. Recueil de la transmission de la lampe de l’ère Keitoku, livre 5 ; Textes choisis des lampes de l’école,livre 4.

[15] Le caractère zu a un double sens : dessin/dessiner et dessein/avoir le dessein. Tout l’intérêt du dialogue découle de ce jeu de mots, jeu qui doit s’articuler autour de la forme (le dessin) [zu] et la pensée (le dessein)[zu]. Avoir le dessein [zu], c’est déjà avoir l’« image » (dessin) [zu] de ce qu’on a le dessein de faire. Le dessin [zu] doit exister avant,après et pendant la réalisation du dessein [zu]. Le dialogue est tiré du Recueil de la transmission de la lampe de l’ère Keitoku, livre 5, chapitre« Nangaku » (Nanyue).

[16] Selon la terminologie de l’école zen, l’entrelacement des lianes [kattô] désigne l’embrouillement ou la complication des idées dus à devaines disputes doctrinales ou aux fioritures du langage. Or, le sensque Dôgen donne à ce terme kattô (l’entrelacement) est tout autre. Tantdans l’univers du langage que dans l’univers du phénomène, tous lessignes, tous les existants s’imbriquent étroitement comme l’entrelacementdes lianes au-delà du temps et de l’espace, et c’est justementgrâce à cet entrelacement de tous les signes et de tous les existants quechacun peut y avoir sa place, place unique, conformément à son niveaude la Loi [hô.i, skr. dharma-niyâmatâ]. Il en va de même de la naissanced’un dessein ou d’un dessin. Aucun dessein ni aucun dessin seprésenterait à nos esprits à partir du néant – l’idée d’ex nihilo est toutà fait étrangère à la conception bouddhique. Chacun des desseinscomme chacun des dessins puise sa force et son élan de développementchez les autres, et tous les desseins comme tous les dessins s’imbriquentet s’entrelacent dans leur interdépendance réciproque.Cf. Glossaire.

[17] Dans le terme dôri (daoli), le mot « principe » [ri (li)] est précédé par le mot « Voie » [dô (dao)]. Comme nous le signalons dans le glossaire, le caractère , inscrit dans la longue histoire de la pensée sino-japonaise, est polysémique. Il veut dire en tant que substantif « la Voie, le chemin, la méthode, la manière de procéder, la parole », et en tant que verbe « dire, parler, énoncer, enseigner ». Entendons donc par ce terme dôri, que nous traduisons littéralement « principe de la Voie », un principe non statique, mais dynamique qui se fraie un chemin en « marchant », à travers nos propres expériences. Citons ce que dit Anne Cheng à propos de (dao) : « La Voie n’est jamais tracée d’avance, elle se trace à mesure qu’on y chemine : impossible, donc, d’en parler à moins d’être soi-même en marche. La pensée chinoise n’est pas de l’ordre de l’être, mais du processus en développement qui s’affirme, se vérifie et se perfectionne au fur et à mesure de son devenir. C’est – pour reprendre une dichotomie bien chinoise – dans son fonctionnement que prend corps la constitution de toute réalité. » Ibid., p. 38.

[18] Le verbe est employé ici en deux sens distincts : devenir, qui implique le changement d’aspect extérieur, et (se) réaliser, qui implique l’accomplissement intérieur. La réalisation du miroir en question ne doit pas être de l’ordre du devenir – temporel –, mais de la réalisation de soi – immédiate.

[19] Le caractère gyô est polysémique. Il veut dire en tant que verbe « aller, marcher, pratiquer, agir », et en tant que substantif la « marche, la pratique, l’action, la phase, l’agent », etc. Le caractère gyô désigne également l’un des cinq agrégats : la construction psychique (skr. samkâra). Ici, gyô porte un double sens : « avancer » et « pratiquer ». Cf. Glossaire.

[20] Si la nature de l’eau consiste à couler et à s’écouler, l’écoulement est précisément le non-faire de l’eau, et le non-écoulement peut être le faire (la pratique) de l’eau. Cf. Montagnes et rivières comme sûtra [Sansuikyô].

[21] Le terme jôsô (l’aspect immuable) est ici précédé par le préfixe privatif hi, et indique la différence de niveau ou d’ordre. Voir la note 2.

[22] Selon la terminologie bouddhique, le corps de l’Éveillé présente les trente-deux marques caractéristiques principales et les quatre vingts marques secondaires [sôgô], et émet la claire Lumière. Celle-ci symbolise également la Sagesse de l’Éveillé et de l’être d’Éveil qui brise les ténèbres de l’ignorance et conduit les êtres vers la clairvoyance de toutes choses. Cf. I.C. §2275.

[23] Le sens propre du caractère soku ou shoku – que nous avons traduit : « souiller » – est « toucher (à) ».

[24] Le terme gôsô, que nous avons traduit par « les aspects des actes », est composé de deux caractères : (les actes, skr. karman) et (l’aspect). Les actes sont de trois sortes, ceux du corps, de la parole et de l’esprit. Cf. I.C. §2285-2286.

[25] Le mot jisetsu, que nous avons traduit par le « moment favorable », est composé de deux caractères : ji (le temps, le moment) et setsu (l’articulation, la jointure, le nœud [des plantes], le rythme). Le temps dynamique tel que le conçoit Dôgen doit s’articuler [setsu] à chaque instant dans l’unité contradictoire du temps linéaire [ji] et de la discontinuité radicale qui doit se creuser au sein même de ce temps qui « paraît » s’écouler.

[26] Le premier des cinq recueils majeurs de l’école zen dits les Cinq lampes [Gotô (Wudeng)]. Il fut compilé par le moine chinois ShôtenDôgen (Daoyuan), à la première année de l’ère Keitoku (Jingde, 1004)sous la dynastie des Song (30 livres). T. 51, n° 2076 ; Manji zôkyô,n° 30, 9-10.

[27] Un des recueils dits les Cinq lampes. Il fut compilé par Rai.an Shôju (Lei’an Zhengshou) en l’ère de Katai (1201-1204) sous la dynastie des Song (30 livres). Zokuzô n° 2, Otsu 10, 1-2.

[28] Il s’agit des quatre étapes qui marquent la deuxième des trois sortes de méditation [sanshu zen] : (1) la méditation au niveau phénoménal [seken zen], (2) la méditation au niveau supra-phénoménal [shusseken zen] et (3) la méditation au niveau supra-supraphénoménal [shusseken jôjô zen]. Les quatre étapes de la méditation au niveau supra-phénoménal : la contemplation [kan], la purification [ren], l’imprégnation [kun] et l’acquisition [jû] consistent à obtenir la liberté souveraine des actes, purifiés de toutes souillures, visibles (les appétits, la convoitise, etc.) et invisibles (les passions, l’imagination, etc.).

[29] Les dix terres [jûji] désignent la 41e jusqu’à la 50e étape du chemin de la pratique des êtres d’Éveil. Les êtres d’Éveil qui se trouvent sur ces dix terres sont appelés les « dix saints » [jusshô]. L’Éveil égal à tous les éveillés [tôgaku] se situe à la 51e étape, juste avant l’« Éveil sublime » [myôgaku], la 52e étape et le sommet du cheminement de l’être d’Éveil.

[30] Wanshi Shôgaku (Hongzhi Zhengjue, 1091-1157), disciple de Tanka Shijun (Danxia Ziohun, mort en 1119). Ayant demeuré trente ans au mont Tendô (Tiantongshan), il eut pour nom honorifique Tendô Shôgaku (Tiantong Zhengjue). La présente maxime est tirée du Recueil des sermons de Wanshi [Wanshi kôroku (Hongzhi Guanglu)], T. 48, n° 2001, livre 8. Cf. Textes choisis des lampes de l’école, livre 29 ; Recueil de la lampe universelle de l’ère Katai [Katai futô roku (Pudeng lu)], livre 9.

[31] Le mot hyô (le recto) ri (le verso) est le plus souvent employé comme synonyme de funi (le non-dualisme) : « Le recto et le verso ne font qu’un » [hyôri ittai].

[32] Le mot yôki (la dynamique essentielle) placé comme sujet se trouve renversé dans le mot kiyô (l’essence dynamique), qui fonctionne comme apposition ou comme attribut du sujet. Ce simple jeu de mots fait écho au mot hyôri (le recto et le verso) que Dôgen a mis sciemment quelques lignes avant. Voir la note 31.

[33] Le mot en (objet) désigne également le « relations circonstancielles, la causalité indirecte ».

[34] Citation implicite du mot de Sôzan Honjaku (Caoshang Benji, 840- 901) tiré du Recueil de Sôzan [Sôzan roku (Caoshang lu)]. Le shaku et le sun sont tous deux unités de mesure. Le premier équivaut à (1/33 x10 m), et le second est un dixième du premier : environ 3,03 cm. Il s’agit donc d’une figure avec la tête à environ 1 m et le cou d’environ 6 cm : cela peut représenter une personne en méditation assise.

[35] Citation implicite du mot de Jinshû Fuke (Zhenzhou Puhua). Les trois cents articles de la vraie Loi, Trésor de l’Œil [Shôbôgenzô sanbyakusoku], livre 1, article 22 ; Textes choisis des lampes de l’école,livre 7, chapitre « Fuke ».

[36] Nous traduisons le caractère katachi par la « Forme », shiki (skr. rûpa) – en prononciation proprement japonaise iro – par les« formes-couleurs », et par l’« image ». L’emploi de ces trois caractèresest très précis chez Dôgen. Le plus noble de ces trois termes estla Forme. La Forme est la vision, vision de soi. La vision de soi n’estautre que la connaissance de soi. La connaissance de soi n’est autreque les montagnes et les rivières, c’est-à-dire la Nature qui réalise sapropre image en se faisant écho à elle-même. Cf. Postface.

[37] Le caractère (jadis) compose avec le caractère shin (l’intimité), apparu trois lignes avant, le terme cher à l’auteur : le « jadis intime » [shinzô]. Cf. Glossaire. Ici, (jadis) est précédé par le caractère i (déjà) pour composer le groupe adverbial « jadis déjà » [izô]. Puis, s’associe tout de suite après au caractère mu (il n’y a pas) pour composer le groupe adverbial zômu, littéralement « jadis, il n’y a jamais eu ». Nous avons traduit celui-ci : « Ne jamais avoir eu ». Et, enfin, le groupe adverbial izô (jadis déjà) apparaît en tant que substantif, et nous l’avons traduit : « le déjà-là de jadis ».

[38] Le mot de Tôzan Ryôkai (Dongshan Liangjie, 807-869), tiré du Recueil de la transmission de la lampe de l’ère Keitoku, livre 15, chapitre « Tôzan » : « Un moine demanda : “Maître, vous dites que ceux qui étudient la Voie (de l’Éveillé) suivent toujours la voie des oiseaux. Quelle est donc cette voie des oiseaux ?” Le maître dit : “Personne ne rencontre personne.” »

[39] Dans le terme kudoku, le caractère toku ou doku (vertu) est précédé par le caractère ku qui veut dire « mérite, résultat, efforts », ce qu’on obtient comme récompense du temps et de l’énergie qu’on a consacrés pour atteindre un but. Nous l’avons traduit « vertu acquise », afin que ce terme kudoku porte à la fois le sens de la vertu à proprement parler, morale et spirituelle, et celui du mérite, de ce qui n’est pas de l’ordre du naturel ou de l’inné.

[40] Le caractère (skr. çunya), ici bien distingué du caractère ten (ciel), désigne l’« espace », mais aussi le « zéro » en mathématiquesindiennes, le Vide, la Vacuité.

[41] Le terme anri, que nous avons traduit par la « pratique quotidienne », est composé de deux caractères : an – autrement prononcé gyô – (la pratique, la marche, l’agir, la phase, l’agent, etc.) et ri qui veut dire, en tant que verbe, « chausser, marcher » et, en tant que nom, « chaussures, territoire ». Le terme anri désigne la vie du pratiquant dans son ensemble et avec toute sa concrétude : « se lever, marcher, s’assoir, manger, travailler, se coucher ».

[42] Le verbe chi.in est composé de deux caractères : chi (connaître) et in (le son, le timbre). Le verbe chi.in peut être tout simplement traduit au sens figuré : « connaître quelqu’un à fond ». Cependant, en respectant toujours le sens propre de chaque caractère, nous l’avons traduit : « connaître le timbre de la voix ». Car, ici, le jeu de mots est sous-jacent. Il faut l’« Œil » pour connaître l’homme, et les « oreilles » pour (re)connaître le timbre de la voix de la personne qui nous est proche.

[43] Autre appellation de l’école zen (Chan) de la tradition Sôtô (Caodong) fondée par Tôzan Ryôkai (Dongshan Liangjie, 807-809) et son disciple Sôzan Honjaku (Caoshan Benji, 840-901).

[44] Le verbe se présenter [gen] et le verbe (se) réaliser [jô] composent ensemble l’un des termes majeurs de la pensée de Dôgen : se réaliser comme présence, la réalisation comme présence [genjô].

 

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