Un moine zen en France
Voici un message de Guillaume Tachon moine zen qui décrit ainsi son itinéraire :
Après avoir obtenu mon diplôme de l'école de commerce de Nancy en 2008, j'ai décidé de me consacrer entièrement à la pratique du zen et j'ai emménagé à la Gendronnière en janvier 2009. J'ai fait un ango de formation de trois mois en 2012 au temple de Shogoji au Japon et j'ai quitté la Gendronnière en décembre 2012. Je vis actuellement à Blois où je travaille comme encadrant maraîcher aux Jardins de cocagne.
J'ai 28 ans et suis moine zen depuis 2 ans
Un moine zen en France, quelques pistes de réflexion
Très brièvement, en Occident la notion de moine vient entre autres des premières communautés de chrétiens qui se sont regroupés à partir du quatrième siècle dans la région du Proche Orient pour mener une vie commune en suivant une règle précise (règle de saint Pacôme, règle de saint Benoit etc). Pour plus d'informations à ce sujet voir : http://www.shobogenzo.eu/archives/2013/03/27/26748399.html"
Dans la tradition bouddhiste primitive, le pratiquant qui souhaite s'engager pleinement devient bikkhu - qui vit de mendicité - il quitte son foyer, se rase le crâne et mène une vie errante en s'attachant à suivre les règles du vinaya. Le chan chinois et le zen japonais ont progressivement abandonné les règles du vinaya jugées trop contraignantes : les pratiquants suivaient les dix préceptes majeurs et les 49 préceptes mineurs ; ils pouvaient vivre soit en monastère, soit comme moines mendiants.
Or ceux qui portent le titre de moine zen à l'heure actuelle (et dont je fais partie) n'ont rien de commun avec cela : les moines zen modernes en Occident vivent en grande majorité en société et en famille. Le système bikkhu (ou shukke, au Japon) est à mon sens une distinction sociale, la dénomination d'une catégorie avec des règles de vie bien précises, des coutumes, des marques physiques (kasaya, crâne rasé). Par conséquent la spécificité d'un groupe social se reconnaissant au travers de rites et de règles communes ne correspond pas à notre manière de pratiquer.
Au Japon, un pratiquant désireux de s'engager dans la voie a le choix entre deux possibilités :
- Effectuer la prise de refuge, la cérémonie du repentir, la cérémonie des dix préceptes et demeurer au sein de la société : il sera alors un laïc pratiquant, ce que nous nommons un bodhisattva. Cette cérémonie se nomme zaike tokudo.
- Ou bien il peut choisir de quitter la vie sociale et s'engager dans l'ordre du zen soto : la cérémonie est alors sensiblement la même et s'appelle shukke tokudo. Dans ce cas, il passera un temps plus ou moins long en monastère où, au bout de six mois de formation au minimum (généralement cela prend un ou deux ans), il accomplira automatiquement les cérémonies d'hossenshiki (shusso), shiho (transmission) et zuise (inscription dans la lignée) puis obtiendra le titre de kyoshi (enseignant). Il pourra alors reprendre un temple de famille (90% des moines sont fils de moine) dont il gérera le quotidien en assurant les services de prêtrise (célébrations mortuaires, etc) et de conseils spirituels de la même manière qu'un prêtre catholique en France. Il peut également choisir de rester en monastère.
Dans l'A.Z.I., les ordinations de bodhisattva puis de moine sont successives. Ces étapes reflètent une gradation dans l'engagement d'un pratiquant sur la voie bouddhique mais c'est une invention récente qui existe surtout parmi les héritiers de maître Deshimaru. Or ces deux voies ne sont pas graduelles mais parallèles.
Bien que le moine zen moderne japonais ne suive ni le vinaya ni même la majorité des préceptes, il a un rôle social, une position reconnue. Il appartient à une catégorie socio-professionnelle bien distincte au sein de la société japonaise.
Mais rien de tout cela en France
D’où la problématique identitaire qui m'anime : mon ordination de moine n'a aucun sens en tant que telle car elle symbolise mon appartenance à un groupe social, l'ordre du zen soto, dans lequel je ne me reconnais pas. Pour moi, seule la prise de refuge et la cérémonie des préceptes ont une signification claire, réelle et profonde pour un pratiquant actuel.
Ne pourrait-on pas envisager de remettre au centre la prise de refuge comme étant un aboutissement en soi de la pratique sans qu'il soit nécessaire de devenir moine pour être reconnu comme un "vrai pratiquant" ?
Ne sommes-nous pas en train de créer une sorte de nouveau statut à mi-chemin entre le laïc et le monastique ? Ne serait-il pas intéressant de réfléchir au sens de la pratique dans notre vie quotidienne à partir de cette vision ?
Ne pourrait-on pas étudier le système du lama tibétain qui me semble parfois plus pertinent pour décrire la pratique de nombreux moines ou nonnes zen en France ?
Une autre problématique me touche personnellement : petit à petit se forment des communautés en France mettant le zazen, le samu et les rites du zen soto au centre de leur vie. Des centres tels que Kanshoji en Dordogne ou Fudenji en Italie ne m’intéressent pas vraiment car ils tentent de calquer le système japonais.
Le temple zen bouddhiste de la Gendronnière, qui n'est pas, jusqu'à présent, un monastère typique du zen soto mais plutôt un exemple de vie communautaire basée sur la pratique du zazen et du travail, pourrait en revanche être un laboratoire extrêmement intéressant pour la pratique du bouddhisme zen en France.
Car en effet, comment répondre aux vocations de ceux qui souhaitent s'extraire d'un mode de vie ordinaire insatisfaisant, mettre la pratique du bouddhisme au centre de leur vie sans pour autant adhérer à un mode de vie monastique stricte qui in fine est réservé à une élite et à un profil de gens très particuliers ?
La réflexion sur notre identité de moine ne doit-elle pas s'accompagner d'une réflexion sur le sens du "vivre ensemble" en tant que pratiquant du zen ? En mettant de coté cette « barrière » du moine, en réfléchissant profondément à ce que signifie le sentiment religieux et comment le manifester dans une vie communautaire, en se recentrant sur la pratique du recueillement assis et du travail désintéressé, il me semble que l'on pourrait créer une dynamique autrement plus intéressante que ce qui se fait actuellement.
Nous pourrions imaginer un rythme à plusieurs niveaux avec des personnes qui vivraient sur place en payant un loyer tout en continuant d'exercer à temps plein une activité professionnelle à l’extérieur et sans avoir à suivre le rythme de vie communautaire dans sa totalité - la pratique du zazen quotidien devant bien sûr rester le ciment liant tout le monde. D'autres qui pourraient utiliser les infrastructures sur place telles que le four à bois, les champs de blé et le moulin ou bien le potager ou encore la forêt et les outils d'abattage afin de fournir des biens à la communauté et de vendre les surplus leur permettant d'avoir un apport d'argent décent. D'autres enfin pourraient vivre sur place à temps plein et gratuitement, assurer le service du quotidien et être soutenus financièrement par les actifs qui travaillent à l’extérieur.
Ce ne sont que quelques exemples, les modalités organisationnelles sont nombreuses et il ne tient qu'à nous de les imaginer.
Il me semble que la notion de moine est aujourd'hui peu pertinente car génératrice d'illusions vis-à-vis de la société civile et surtout vis-à-vis de nombreux pratiquants. Il m'apparait nécessaire de nous recentrer sur ce qui fait les fondements de notre pratique et de créer à partir de cette connaissance au lieu de vouloir sans cesse copier ce qui se faisait dans les temps anciens.
Guillaume Tachon