Compte-rendu Zazenshin 3è séance du 13/05/2013
Atelier d’étude du Shôbôgenzô du 13/05/2013 à l'Institut d'Études Bouddhistes
坐禅箴 [ZAZENSHIN]
MAXIMES DE LA MEDITATION ASSISE
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Présentation du compte-rendu :
Les choix de transcription sont les mêmes que dans les comptes-rendus précédents. On se situe dans la deuxième partie de Zazenshin : le dialogue entre Nangaku et Mazu (Daijaku). PLAN : 1ère partie : reprise des 3 moments logiques et de un-multitude ; 2ème partie : paragraphes 11-13 ; 3ème partie : paragraphes 14-19 ; Fin de séance ; La prochaine fois.
Christiane Marmèche
Yoko Orimo : Aujourd'hui c'est le troisième atelier consacré au Zazenshin (Maximes de la méditation assise) et c'est l'avant-dernier atelier de l'année scolaire. Nous poursuivons le programme c'est-à-dire la suite de la lecture. Ce soir c'est la seconde moitié de la deuxième partie qui est entièrement basée sur le dialogue de Nangaku et Baso (Mazu). Nous avons lu la dernière fois 6 paragraphes de cette deuxième partie. On laisse les paragraphes 7 à 10 en espérant pouvoir les reprendre ensuite, et on va lire du paragraphe 11 au paragraphe 19.
Nous allons rencontrer grosso modo deux nouveaux thèmes :
– Dans les paragraphes 11 à 13 c'est le thème de gyô 行 (la pratique) et fugyô 不行 (absence de gyô). Et de la même façon que la dernière fois nous avions rencontré le double sens de l'idéogramme zu 図, « avoir l'intention de » et « faire un dessin », ce gyô a un double sens : la pratique et avancer (ou l'avancement). La question qui se trouve dans le dialogue de Nangaku et Mazu c'est que la pratique peut être l'avancement ou le non-avancement.
– Dans les paragraphes 14 à 19 c'est le thème de l'aspect [sô 相]. En effet l'aspect est très important, en particulier l'aspect assis puisque zazen 坐禅est composé de za 坐 (s'asseoir, être assis) et zen 禅 (dhyâna, la méditation) d'où la traduction « la méditation assise ». Pourquoi faut-il être assis ? Et avec ce terme zazen nous allons rencontrer deux autres termes : zabutsu 坐仏 qu'on peut traduire de plusieurs façons : l'Éveillé assis, être assis en Éveillé, ou l'assise de l'Éveillé ; zasô 坐相 qui veut dire l'aspect de l'assise ou l'aspect assis (sô 相 signifie l'aspect).
Comme la dernière fois ces deux thèmes se situent dans la sphère de ce que j'appelle la sphère de la médiation, c'est un moment abyssal, indéfinissable, illocalisable, d'où la difficulté parce que les maîtres zen comme Dôgen ou Mazu (Daijaku dans le texte) ou Nangaku, essaient d'expliquer et d'exprimer ce qui en soi n'est ni exprimable ni explicable. C'est un passage très difficile mais passionnant et très profond.
Première partie : Reprise d'éléments qui serviront après
1°) Les trois moments logiques
Avant de faire la lecture, comme d'habitude, je voudrais faire la révision des dernières séances. Il s'agit de comprendre les trois moments logiques qui concernent la sphère de la médiation. Je vous ai déjà dit que ce mouvement ternaire logique est un mouvement illocalisable, il s'agit de trois moments qui n'existent pas en soi.
Le mouvement ternaire logique.
Vous connaissez le terme bouddhiste upâya qui désigne le moyen habile. Les moments logiques ne sont autres que upâya, le moyen habile qui essaie d'expliquer ce qui n'est pas explicable.
Ce sont trois moments logiques que je vous explique très souvent avec un cercle.
– Le 1er moment c'est le point de départ ;
– le 2ème moment c'est le point abyssal (la sphère de la médiation) ;
– le 3ème moment c'est le retour à la surface, c'est l'unité des deux moments précédents.
Et ces trois moments sont atemporels, ils n'existent pas les uns indépendamment des autres.
Pour expliquer un peu je prends une comparaison qui a ses limites. En psychanalyse on parle de la conscience, de l'inconscient et du subconscient. En réalité dans notre psychisme ces trois choses sont omniprésentes. Lorsqu'on est éveillé, on pense qu'on est seulement dans la conscience, mais l'inconscient travaille, de même que le subconscient. Et dans un rêve, c'est plutôt l'inconscient qui occupe le premier plan, mais ça ne veut pas dire que la conscience et le subconscient disparaissent complètement. Ces trois choses ne font qu'un, et il en est de même pour les moments logiques.
Maintenant je voudrais vérifier que vous avez bien assimilé cette explication (qui a sa limite parce que ce n'est qu'un moyen habile).
P F : Est-ce que tu veux dire que le concept de ces trois moments logiques est un moyen habile pour nous faire toucher une certaine réalité ?
Y O : C'est pour vous aider à comprendre ce que c'est que la méditation assise, entre autres.
Nous avons déjà rencontré une dizaine de termes dans ce texte Zazenshin et nous allons en reprendre certains pour voir à quel moment ils se situent.
Le mouvement logique avec shiryô, hishiryô et fushiryô.
On a déjà vu les trois mots : 思量 [shiryô], 非思量 [hishiryô ] et 不思量 [fushiryô]. On les trouve dans cet ordre au niveau du mouvement ternaire logique :
1. shiryô c'est la pensée analytique
2. hishiryô c'est ce qui n'est pas de l'ordre de la pensée
3. fushiryô c'est l'absence de pensée analytique.
Beaucoup de maîtres zen, qu'ils soient européens ou japonais, commettent beaucoup d'erreurs quand ils essaient d'expliquer ce que sont ces trois termes comme s'il s'agissait de choses chronologiques : au début c'est shiryô, ensuite en zazen c'est hishiryô, et quand on est éveillé, quand c'est réussi c'est fushiryô. Non. Je dis que ces trois moments ne font qu'un.
► L'ordre ici c'est shiryô, hishiryô, fushiryô. Maître Deshimaru proposait un autre ordre à savoir shiryô, fushiryô, hishiryô[1]. Là je ne parle pas de sa compréhension du zen mais de sa formulation.
Y O : Yakusan dit : « Je pense la non-pensée…. c'est dans ce qui n'est pas de l'ordre de la pensée »[2] donc pour moi il est évident que hishiryô est dans la position de la médiation.
Il faut voir qu'avec ce mouvement ternaire logique on explique ce qui n'est pas explicable :
– Le 1 c'est la surface, disons la vision du commun des mortels.
– Le 2 c'est quand on est extrêmement recueilli, on descend au tréfonds de soi, c'est un moment inexplicable, inexprimable.
– Le 3 c'est l'unité de 1 et 2, on retourne à la surface tout en faisant l'unité de la surface et de la profondeur.
Le mouvement logique avec le polissage de tuile.
Le polissage de tuile [masen 磨塼] est un acte, mais, même si c'est assez réducteur, on le situe au deuxième moment. En effet en quoi consiste masen ? C'est Mazu (Daijaku) qui pose la question : « Comment peut-on faire un miroir en polissant la tuile ? » Et le maître répond : « Comment peut-on devenir éveillé en faisant le zazen ? » Polir est une métaphore.
Le commun des mortels pense que c'est le miroir matériel qui reflète notre surface, mais il reflète simplement l'apparence. Et quand les maîtres parlent de miroir, ils parlent d'un miroir intérieur, infiniment plus profond que le miroir matériel. C'est ce miroir intérieur immatériel qu'on obtient avec le polissage de tuile.
C'est un peu comme le mythe de Sisyphe : éternellement Sisyphe est condamné à remonter son rocher, c'est un peu mushotoku (sans but ni profit), c'est un acte pur, on n'obtient rien, mais on recommence et on répète ça presque éternellement. Par le zazen voilà notre ego se dépouille grâce à ce polissage. C'est pour nous polir nous-mêmes : tout ce qui est superflu, égotique, grâce à ce polissage, disparaît.
► Ça c'est un peu l'inverse de Sisyphe parce que Sisyphe se revendique comme étant lui-même en continuant cette tâche absurde. Donc on est rigoureusement à l'envers.
Y O : Je suis d'accord.
► C'est le grand kôan de maître Dôgen qui va en Chine puisqu'il a cette question : puisqu'on est tous des éveillés, pourquoi est-ce qu'on doit pratiquer aussi difficilement ? Et c'est lors de sa rencontre avec maître Nyojô qu'il va d'un seul coup réaliser qu'on pratique parce qu'on est des éveillés, on pratique en tant qu'éveillés, et zazen c'est la pratique des éveillés et non pas la pratique pour s'éveiller.
Y O : Je suis tout à fait d'accord.
Je reviens à la question de placer masen. Je sais que tout ceci est réducteur puisque que masen est partout, il est dans les trois moments. Mais si on est forcé de le placer, c'est au deuxième moment, hishiryô.
► J'ai regardé le recueil de Mazu il y a un mois. Il dit que ce qui est important dans la méthode de méditation c'est quand il y a une pensée, de voir la pensée, et de retourner à la présence, et non pas de laisser les pensées s'enchaîner les unes aux autres. On laisse la pensée s'envoler comme un nuage, on retourne à la présence puis vient une autre pensée etc.
Y O : Ça ce serait plutôt fushiryô. J'ai dit que fushiryô c'est le moment qui fait l'unité de shiryô et hishiryô. Mais je définirais plutôt ce moment logique comme "la pensée qui se pense elle-même", elle n'est plus objet d'un sujet pensant : c'est la pensée qui prend l'autonomie.
Et pour illustrer cette explication, je pense à la musique. Les musiciens, notamment en jazz, quand ils sont en transe, jouent ensemble, notamment dans la musique improvisée. Et quand la musique atteint sa plénitude c'est la musique qui commence à jouer elle-même. Et je pense que pour la peinture on peut dire la même chose.
Donc ça c'est fushiryô: la pensée qui commence à se penser elle-même, il n'y a plus l'opposition entre le sujet pensant et l'objet pensé, ils ne font qu'un, c'est le non-dualisme.
Maintenant qu'on a vu que masen est au deuxième moment, regardons le reste.
– La dernière fois on a vu le terme sabutsu 作仏: "faire de soi un éveillé". Cela se trouve dans les trois moments mais si on se force à le situer plus précisément, sabutsu est en 1. En effet « faire de soi un éveillé » c'est le point de départ, tout le monde essaye ça.
– On a vu aussi le terme gyôbutsu 行仏qui s'oppose à sabutsu : "l'Éveillé en pratique", ou "la pratique de l'Éveillé". Il se trouve au troisième moment.
► Mais si gyôbutsu s'oppose à sabutsu qui est en 1, il ne peut pas être en 3.
Y O : J'ai bien expliqué que ce travail sur les moments logiques est réducteur puisque ces trois moments ne font qu'un, c'est un moyen habile (upâya). Je suis en train de diviser ce qui n'est pas divisible.
M D : Est-ce que fushiryô que vous avez traduit par « non-pensée », on ne pourrait pas le traduire par « non-penseur » ?
Y O : Pourquoi pas.
M D : C'est-à-dire qu'il y a toujours des pensées qui se produisent, mais puisqu'elles ne s'enchaînent plus, elles ne constituent pas un "moi" en quelque sorte.
Y O : Voilà, disons que c'est la pensée de l'Éveillé, c'est l'Éveillé qui pense : si on arrive à atteindre fushiryô, la non-pensée, c'est l'Éveillé qui pense en moi.
► Ça fait écho à la Bible[3].
Le dragon sculpté et le vrai dragon.
Y O : La dernière fois on a vu le dragon sculpté (chôryû 彫竜) et le vrai dragon (shinryû 眞竜). Maître Dôgen dit que même si on préfère le vrai dragon : « Sachez-le, le dragon sculpté et le vrai dragon ont tous deux la puissance de faire pleuvoir. »
► Le dragon sculpté est en 1 et le vrai dragon en 3.
Y O : Tout à fait. Et pour faire l'unité du vrai dragon et du faux dragon – ça décale un peu au niveau de la métaphore – il faut masen, le polissage de tuile.
► Est-ce qu'on peut rapprocher cela du texte Gabyô où on distingue la galette et son image dans un tableau ?
Y O : Tout à fait, mais à condition qu'il y ait la dimension de masen. Lors des ateliers de l'année prochaine on prendra ce texte Gabyô.
Shiki et kû.
Et maintenant encore une dernière chose pour illustrer cela. On a vu shiki 色 (rûpa, les formes couleurs) et kû 空 (sunya, la vacuité) :
– shiki 色est en 1, c'est à la surface, c'est la perception du commun des mortels
– kû 空est en 2 et on ne peut finalement rien dire sur kû.
C'est pour cela que le traité de Nâgârjuna et si difficile, il est positionné en 2 alors que maître Dôgen est dans le 3.
P F : Est-ce que ce n'est pas le 3 que les Theravâda ont beaucoup de mal à accepter ?
Y O : Je crois.
Pour voir ce mouvement logique, prenons le Hannyah Shingyô que vous récitez après le zazen, il résume cette unité de 1 et 2 :
色即是空 空即是色 [SHIKI SOKU-ZE KÛ, KÛ SOKU-ZE SHIKI]
Les formes-couleurs c'est la vacuité, la vacuité c'est les formes-couleurs.
Le premier shiki est en 1 et le dernier shiki est en 3, et ce shiki de la fin est à la fois le même que celui du début et tout autre que lui : en 1 c'est le shiki des formes couleurs telles qu'elles sont vues par l'œil du commun des mortels ; en 3 c'est le shiki de la vision de l'Éveillé. Finalement c'est la même chose et pourtant c'est tout autre puisque cette surface qui est en 1 a épousé, embrassé kû (la vacuité) tandis que pour le commun des mortels shiki est shiki, c'est-à-dire que les formes-couleurs c'est simplement la surface. C'est pour ça que je répète qu'on ne peut pas diviser les deux shiki et pourtant ils sont différents
► Et c'est toujours en mouvement, ça n'est jamais fixe.
2°) L'un et la multitude. Retour sur le caractère zu 図.
Y O : Quel est le sens étymologique de ce caractère zu 図 ?
D M : Il y a l'enclos qui représente le pays, un endroit, un lieu ; et à l'intérieur il me semble que c'est juste des traits.
Y O : Le carré peut être un pays mais peut désigner tout simplement une clôture, d'où un domaine, un territoire, et dedans on met des chemins, des collines. Ainsi le sens initial de ce caractère c'est le plan cartographique, la carte. Et au sens figuré ce caractère désigne le dessein.
On va écrire ce caractère. L'année prochaine on fera un cours de japonais mais on continuera quand même parfois à écrire pendant les ateliers. Ce caractère est une forme simplifiée d'un caractère plus compliqué.
Écriture de zu 図 (voir fichiers joints)
Je reprends ce caractère zu 図 parce que ça concerne la lecture de ce soir aussi puisqu'il y a toujours la continuité.
Je vous rappelle que ce caractère zu (dessin et dessein) a un double sens qui concerne le thème de ce soir. Dans le paragraphe 5 maître Dôgen commente le dialogue de Nangaku et Mazu. Il dit que « la méditation assise consiste toujours à avoir le dessein de faire de soi un éveillé (sabutsu) » ; et il dit aussi « N'évitez pas de faire un seul dessin (dessein) » c'est-à-dire que si vous ne faites pas un dessin (dessein) vous ne pouvez pas dessiner la multitude des dessins (desseins) et encore moins la totalité des dessins (desseins). Il y a quelque chose comme ça là-dedans.
Deuxième partie : Paragraphes 11 à 13
On va donc lire les paragraphes 11 à 13 avec le thème de gyô 行qui a le double sens de pratique et d'avancement, et en tant que verbe le double sens de pratiquer et d'avancer.
Paragraphe 11.
« Nangaku dit : « Si l’on dirige un char et que le char n’avance pas, est-ce bon de frapper le char ou est-ce bon de frapper le bœuf ? » Réfléchissez pour l’instant à ce que signifientl’avancement du char et le non-avancement du char. Parexemple, l’écoulement de l’eau est-il l’avancement du char,ou bien, est-ce le non-écoulement de l’eau qui est l’avancementdu char ? Il faudrait dire que l’écoulement est le non-avancement(la non-pratique) de l’eau. Il se peut aussi quel’avancement (la pratique) de l’eau ne soit pas l’écoulement.S’il en est ainsi, lorsque vous étudiez à fond la proposition : « si le char n’avance pas », il faut considérer qu’il y a le non-avancement et qu’il n’y a pas le non-avancement, car (l’avancement et le non-avancement) doivent être le temps. En disant : « si le char n’avance pas », Nangaku n’a pas seulement parlé du non-avancement. »
Y O : On a donc les termes gyô 行(pratique, avancement) et fugyô 不行(absence de gyô, non-avancement). Et il y a un autre mot qui apparaît dans une sorte d'opposition eu terme avancement ?
► C'est "écoulement".
Y O : Tout à fait : écoulement c'est Ru 流.
Maître Dôgen dit une chose qui est presque paradoxale : « Le non-écoulement de l'eau est l'avancement (la pratique) », et vice versa « l'écoulement est le non-avancement (la non-pratique). » et ici la non-pratique c'est « ne pas faire ».
► Parce que c'est dans la nature de l'eau de s'écouler, donc elle n'a rien à faire pour qu'il y ait écoulement.
Y O : Tout à fait.
► Est-ce que Dôgen prend l'eau comme un symbole du non-effort ?
Y O : Oui, je crois, ici. Et je pense qu'ici le non-effort c'est banalement la paresse. D'ailleurs il y a un proverbe japonais qui dit : « L'eau coule vers le bas », c'est-à-dire coule paresseusement si on ne fait rien, tandis que si l'on fait des efforts (c'est la pratique) peut-être qu'elle ne s'écoule pas.
Et on a déjà vu ce terme ru (écoulement) dans un des thèmes principaux du bouddhisme puisque ruten 流転 (où 転ten veut dire tourner) c'est le samsâra. Justement le samsâra c'est la métempsycose, le cycle sans fin des naissances et des morts, l'écoulement incessant. Donc il y a une connotation un peu négative dans ce caractère ru. Il est opposé à l'avancement.
Allégorie.
À propos de ce texte je ne parlerais pas de métaphore mais d'allégorie. Est-ce que vous comprenez la différence entre métaphore et allégorie ?
F A : L'allégorie c'est que l'ensemble des éléments jouent pour l'unité. En effet une allégorie dans une peinture c'est le fait que tous les éléments participent à une même chose.
Y O : Ce n'est pas faux mais c'est surprenant.
D T : Une allégorie est une forme de représentation indirecte qui emploie une chose pour une autre, d'après internet. François doit pouvoir préciser avec la racine grecque.
F M : Allon c'est « autre chose » et agoreuo c'est « je dis » donc allégorie c'est le fait de dire autre chose.
Définition du Petit Robert pour "allégorie" : « Œuvre dont chaque élément évoque symboliquement les aspects d'une idée. »
Y O : Dans l'allégorie il y a un rapprochement direct de telle chose avec telle autre chose pour expliquer mieux. Tandis qu'une métaphore c'est poétique, c'est une évocation des choses sans connecter trop matériellement : « Ceci est cela ».
Donc ici je dirais que c'est une allégorie. Quels sont les trois éléments dans cette histoire ?
► Le cocher, le char et le bœuf.
Y O : Oui mais dans le texte il ne s'agit pas d'un cocher, il s'agit de l'homme (nin). On a donc les trois éléments : la personne [nin 人], le char [sha 車] et le bœuf [gyû 牛].
Pour vous aider à comprendre cette allégorie on peut faire un lien assez matériel entre les éléments de la comparaison puisqu'il y a « frapper le char », « frapper le bœuf » et à la fin apparaît le temps : « car (l'avancement et le non-avancement) doivent être le temps. »
P F : Le « doivent être » du texte a le sens de « sont obligatoirement » ?
Y O : Non c'est plutôt une supposition : « seraient le temps ». Donc il y a le temps comme personnage. Alors le temps correspond à quel élément ?
► Le char.
Y O : Oui je dirais qu'allégoriquement parlant le char représente le temps. Et le bœuf ?
M D : Le bœuf, allégoriquement, c'est la nature de bouddha. On a ça par exemple dans la série des 10 images du dressage du bœuf.
Y O : Oui mais pas dans notre contexte ici.
► Le bœuf c'est notre nature à nous.
Y O : On peut dire ça mais nature c'est très abstrait, or dans l'allégorie c'est très concret.
► Le bœuf c'est le corps.
Y O : Oui c'est mon interprétation. Mais vous pouvez très bien interpréter autrement : à partir du moment où ça se tient c'est possible. Il peut toujours y avoir plusieurs interprétations. Moi ici j'interprète le bœuf comme étant le corps. D'où l'expression « frapper le bœuf » : en zazen on frappe le corps.
F M : Pour moi le bœuf c'est le corps-esprit, pas le corps seul, on ne peut pas dissocier.
Y O : Par ailleurs l'homme c'est l'homme mais je dirais pour aiguiser le sens que c'est la conscience de l'homme.
P F : Je n'aime pas ce mot-là.
Y O : A la limite on peut rester avec l'homme, c'est comme vous voulez.
► Le risque c'est de tomber chez Platon avec l'image du char dans Phèdre (246a-249d).
Y O : Oui. Reprenons. Que veut dire dans cette allégorie que « le char n'avance pas » c'est-à-dire que le temps n'avance pas ? Or on est dans le zazen puisque c'est zazenshin.
P F : Quand le char n'avance pas on peut être soit en train de dormir soit en train de vivre intensément l'instant présent.
Y O : Bravo, tu as dit tout ce que je voulais dire. Et ceci est extrêmement étonnant : quand on est extrêmement mal dans le zazen, le temps n'avance pas, ça n'en finit pas ; et quand on est dans le recueillement total c'est-à-dire qu'on est vraiment dans le zazen, le temps disparaît, il n'avance plus.
Tout à l'heure on a fait un cercle : le point de départ et le point d'arrivée se rejoignent et c'est ça la question.
F A : Le temps est fixe, il ne bouge plus.
F M : Je dirais plutôt qu'on épouse le temps, le temps ne peut pas être fixe.
F A : « Le temps est fixe » c'est une façon de parler : c'est nous qui bougeons.
F M : Tout bouge, nous et le temps. Mais si nous sommes en adéquation avec le temps, nous épousons le temps donc on a l'impression que le temps n'existe pas. Mais le temps existe comme chacun sait.
Y O : Tout à fait. Et pour un peu mieux illustrer cette histoire-là je vais vous donner une comparaison qui est très souvent donnée en philosophie pour les lycéens, ce n'est pas une grande méditation.
La toupie quand elle est arrêtée est immobile. Mais elle devient également immobile, en tout cas au niveau de la perception, quand elle tourne en plénitude. C'est ça le zazen. Pour les paresseux, les débutants, le temps n'avance pas (le char n'avance pas) mais pour le vétéran qui est dans le recueillement total, également le temps n'avance pas.
P F : Donc Nangaku s'est un peu moqué de nous avec sa question puisqu'il dit : « Si l'on dirige un char et que le char n'avance pas, est-ce bon de frapper le char ou est-ce bon de frapper le bœuf ? » pour nous ça induit l'idée que si le char n'avance pas ce n'est pas bien et il faut faire quelque chose, puisqu'il faut qu'il avance.
Y O : Parce que là on est dans le non-avancement des débutants.
P F : Le char n'avance pas parce que le mec est en train de roupiller, d'accord. Mais une fois que tout sera bien recalé le char n'avancera pas non plus et tout ira bien.
Y O : Simplement, à ce moment-là on a fait l'ensemble du mouvement sur le cercle et on est revenu au point de départ.
Je vais vous raconter quelque chose qui peut vous aider pour dire que la personne avancée a à peu près la même apparence que le commun des mortels. Il y a une histoire de ce genre à propos de Hakuin. Un nouveau moine travaille de nuit dans la cuisine, et il voit un vieillard qui a l'air un peu misérable, en tout cas un vieillard. Et le nouveau moine le gronde à tue-tête : « Qu'est-ce que tu fais, vieux, il ne faut pas venir dans la cuisine pendant que je travaille dans la nuit. » Et le vieillard ne dit rien, il se retire la tête baissée comme un chien battu. Le lendemain le moine va à la salle de l'Éveillé pour écouter la prédication, et il découvre que ce vieux-là était l'abbé Hakuin ! C'est une très belle histoire.
Paragraphes 12-13.
« "Est-ce bon, demanda-t-il, de frapper le char ou est-ce bon de frapper le bœuf ?" Faudrait-il frapper aussi bien le char que le bœuf ? Frapper le char serait-il pareil ou non à frapper le bœuf ? Nous le savons maintenant : quoique ni le monde ni le commun des mortels n’enseignent à frapper le char, la Voie de l’Éveillé enseigne à frapper le char. Voilà l’Œil de vos études ! Même si vous comprenez qu’existe l’enseignement qui préconise de frapper le char, cela ne devrait pas être pareil à frapper le bœuf ; pratiquez-le avec ingéniosité et minutie. Même si le monde a coutume d’enseigner à frapper le bœuf, étudiez et recherchez encore ce que signifie frapper le bœuf selon la Voie de l’Éveillé. Frapperait-on un buffle ou un bœuf de fer, ou un bœuf de boue ? Faudrait-il frapper avec le fouet, ou faudrait-il frapper avec l’univers entier ou avec le cœur entier ? Ou bien, faudrait-il frapper jusqu’à ce que jaillisse la moelle, ou faudrait-il frapper avec le poing ? Il doit y avoir la frappe du poing par le poing, la frappe du bœuf par le bœuf. »
Y O : Donc il s'agit de frapper. L'enjeu de la question c'est « Que veut dire frapper ? » Et il y a deux choses à frapper quand le char n'avance pas : frapper le char c'est-à-dire frapper le temps selon mon interprétation, et frapper le bœuf c'est-à-dire frapper le corps.
En japonais le mot frapper c'est da 打, la clé du caractère扌 représente la main et je crois que l'autre côté c'est un outil, donc ça signifie bien frapper.
Remarque de Y Orimo après la séance : Il vaudrait peut-être mieux traduire da 打par "taper", et non par "frapper". En effet le sens initial de ce caractère est d'enfoncer un clou en le tapant légèrement ; il n'y a donc pas un sens aussi violent qu'on l'imagine.
► La fin du paragraphe est quand même de plus en plus exubérante : « frapper le bœuf par le bœuf » !
Y O : Tout ce paragraphe vous invite à mieux faire le zazen (la méditation assise). Maître Dôgen dit que ce n'est pas dans le sens du commun des mortels que le verbe frapper est utilisé ici. Que veut dire frapper ?
► Placer son attention sur.
Y O : Oui déjà. D'ailleurs l'enseignant zen vous invite souvent à ça quand la pensée surgit : « Observez sans vous y attacher, mais n'écartez pas. »
C M : On ne nous dit pas vraiment d'observer le temps.
P F : Placer son attention sur le temps, ça peut être revenir à l'instant présent.
Y O : Oui, aussi. Donc il y a un sens de frapper qui serait "observer", pourquoi pas. Moi je dirais "aller ensemble". Quand le temps n'avance pas, par exemple quand on a une insomnie, on conseille d'écouter la goutte de pluie qui tombe s'il pleut, et alors peu à peu on s'endort.
Parce que la réponse se trouve dans le petit paragraphe 13 : quand le temps n'avance pas, notamment pour les débutants à cause de la paresse, quand le temps semble ne pas avancer pour un débutant, s'il focalise son attention sur le temps, de moins en moins il avance, tandis que sans résister au temps on peut essayer d'aller ensemble avec lui. Il en va de même du corps je crois : « Ça fait mal », et du moment qu'on pense que ça fait mal, que ça fait mal, ça fait de plus en plus mal, tandis que quand on essaie un peu d'être ami de cette douleur qui nous perturbe, de la prendre comme amie, ça va beaucoup mieux.
P F : C'est devenir intime avec.
C M : Le verbe frapper n'a pas tout à fait ce sens-là, c'est quand même violent de frapper !
Y O : Moi je suis d'accord avec « ne faire qu'un » et toi Christiane tu n'es pas d'accord en ce sens que ça ne colle pas tout à fait avec le verbe frapper.
► On peut prendre le verbe frapper dans le sens de « étudier vraiment à fond ».
P F : Comme on dit en français : « On va se taper tel bouquin. »
► Au moment où on commence à frapper quelque chose on est à l'extérieur, mais au moment où on touche il y a une unité. Est-ce que c'est dans ce sens-là ?
Y O : Je pense que c'est dans ce sens-là. Et c'est pour cela qu'il y a l'expression « frapper du poing par le poing » etc.
► Là effectivement il y a vraiment la non-dualité.
C M : Le verbe "travailler" me semble pouvoir traduire le verbe frapper.
F M : Le travail est une torture au sens étymologique, donc ça correspond tout à fait.
Y O : Oui je pense que c'est dans le sens de travailler que les maîtres utilisent ce mot frapper, je crois. Et vous, Aurélien qu'en pensez-vous ?
A G : C'est difficile de comprendre cela quand on n'a pas de pratique. Ce que semble dire Dôgen c'est que quand on est bloqué, que le char n'avance pas, la plupart des gens disent : « Travaillez sur votre assise » donc ça concerne le corps (donc le bœuf). Or Dôgen dit que ce n'est pas exactement ça, qu'il ne suffit pas de travailler le bœuf (le corps-esprit), il faut aussi travailler le char (le temps). Alors question très naïve d'un non-pratiquant : est-ce que c'est vraiment différent de travailler le corps-esprit (on le prend tel qu'il est, on a mal, on persiste) et de travailler le temps ? Est-ce que c'est vraiment dissociable ? En effet Dôgen semble dire ici qu'il ne faut pas s'arrêter à travailler le corps-esprit (le bœuf) mais qu'il faut travailler le temps (le char) : est-ce que ce n'est pas la même chose ?
Y O : C'est la même chose.
F M : La réponse à Aurélien me semble être dans le paragraphe 13 :
« Daijaku ne répondit pas. Ne passez pas vainement à côté de cette non-réponse du maître. Il se peut qu’en rejetant une tuile, on obtienne une perle et qu’en tournant la tête, on change de face. Ne pillez donc jamais ce qu’est cette non-réponse. »
Y O : Oui tout à fait. Dans ce paragraphe il y a le mot « non-réponse ». Il s'agit du mot sino-japonais mutsui 無對: mu 無 veut dire "il n'y a pas" et tsui 對, je l'ai traduit par "réponse", mais ce caractère a aussi le sens d'opposition. Donc mutsui : on ne s'oppose pas.
Et maître Dôgen dit « Ne passez pas vainement à côté de cette non-réponse du maître ». Autrement dit dans cette non-réponse il y a la clé de compréhension.
Il parle de non-réponse, cela correspond à quelle question ?
► La non-réponse du maître c'est à la question « Est-ce bon de frapper le char ou est-ce bon de frapper le bœuf ? »
Y O : Oui c'est la réponse à l'ensemble : « Quelle est la différence entre frapper (travailler) le temps et frapper (travailler) le corps ? » etc. Et le maître ne répond pas.
► De temps en temps on frappe le bœuf et de temps en temps on frappe le char, de temps en temps on frappe les deux, c'est selon les circonstances.
Y O : La distinction c'est dans votre conscience. Et c'est pour cela que j'aurais aimé désigner l'homme par la conscience : la conscience divise ce qui n'est pas divisible. En fin de compte le char et le bœuf c'est la même chose.
► J'y vois un autre problème c'est que c'est Mazu (Daiijaku) qui ne répond pas, donc qui donne la clé, alors qu'il est l'élève de Nangaku.
Y O : Oui mais là je crois qu'ils sont à égalité, et de plus les deux sont des maîtres. Et je pense que c'est quelque chose d'universel : on est obligé d'utiliser les mots du langage courant pour désigner les choses et par exemple ici, on parle de maître et de disciple. Mais ce qui est très beau dans le zen c'est qu'il n'y a pas de hiérarchie : on discute à égalité et on reçoit mutuellement l'un de l'autre.
C M : Et même le disciple a le droit de frapper le maître en entretien privé ! Même s'il faut bien avouer que ce n'est pas facile à faire…
Y O : Cette non-réponse je l'interprète tout à fait bêtement comme une non-opposition : ce n'est pas la peine d'opposer le temps et le corps. Justement quand le temps et le corps vont ensemble vraiment c'est l'avancement, la pratique. Et si on va jusqu'au recueillement plénier, le temps disparaît aussi.
F M : Comme le corps disparaît aussi d'un certain point de vue.
Y O : C'est ça. Je vais vous donner un exemple tout à fait banal. Il y a longtemps quelqu'un m'a raconté que sa grand-mère était tombée d'un escalier très raide et qu'elle n'avait pas eu de blessure. Tout le monde était curieux de comprendre comment elle avait pu ne pas se blesser et ils lui ont posé la question. La grand-mère a répondu : « J'ai suivi le mouvement de dégringolade. » C'est-à-dire que quand on tombe il ne faut pas résister, il faut aller ensemble avec le mouvement.
► C'est comme dans le judo ou de l'aïkido : il y a des techniques pour apprendre à chuter.
P F : Quand tu apprends à tomber, tu polis ta tuile.
Y O : C'est ça.
Troisième partie : Paragraphes 14 à 19
Dans les paragraphes 14 à 19 c'est le même thème et c'est très profond. J'espère que vous pourrez comprendre. Et si vous avez fait un peu de philosophie vous verrez qu'il y a le mouvement de thèse, antithèse et synthèse.
Paragraphe 14.
« Nangaku dit encore : « Tu étudies la méditation assise, c’est pour apprendre à être assis en éveillé. » (note 1). En étudiant à fondcette parole, appropriez-vous justement la dynamique essentiellede l’enseignement du patriarche. Alors que vous nesavez pas encore comment aller tout droit à l’essentiel en étudiant(2) la méditation assise, vous savez déjà qu’elle consisteà apprendre à être assis en éveillé. S’il (Nangaku) n’était pasle descendant authentique de l’Éveillé, comment aurait-il pudire que l’étude de la méditation assise consiste à être assis enéveillé ? En vérité, sachez-le, la méditation assise des débutantsest la première méditation assise, et la première méditationassise consiste à être assis en éveillé pour la première fois. »
Note 1 : on peut aussi traduire par « c'est pour apprendre (ou étudier) l'assise en éveillé. »
Note 2 : dans la traduction initiale il y a un "de" en trop à cet endroit.
Y O : Le mot assis (za) revient très souvent : zazen 坐禅 (la méditation assise), zabutsu 坐仏 (être assis en éveillé). Je voudrais dire aux pratiquants surtout – parce que souvent on dit qu'il n'y a qu'à pratiquer – mais à quel point les trois maîtres (Mazu, Nanagaku, Dôgen) disent qu'il faut étudier (gaku 学).
Ici je dirais que c'est le moment de poser la thèse, donc il n'y a pas encore beaucoup d'argumentation.
Ce dialogue de Nangaku avec Mazu pose une question à propos de : « Zazen c'est être assis en éveillé », et ce qui est souligné c'est « être assis ».
On trouve le mot « dynamique essentielle » [yôki 要機]. . Là on peut discuter au niveau de la traduction. On verra la prochaine fois que dans les zazenshin de Washi et de maître Dôgen ce terme revient. Yôki 要機 est composé de deux caractères :
– Le caractère ki 機 – à ne pas confondre avec ki 気 (le souffle, l'énergie) – est un idéogramme qui représente le tissage, une machine à tisser ; et le sens figuré c'est l'organisation et aussi il y a le sens d'opportunité. Anne Cheng qui est une grande sinologue installée au collège de France, traduit ce ki par « le ressort cosmique » et je pense que c'est une très belle traduction, et je suis assez tentée d'adopter cette traduction. Jusqu'à présent j'ai toujours traduit ki par "la dynamique" tout simplement mais pourquoi pas "le ressort cosmique" puisque qu'il y a cette dimension de ressort cosmique dans ce caractère ki.
– Et le caractère yô 要 est un idéogramme composé : en bas il y a une femme et au-dessus c'est plutôt une figuration. Donc c'est une image d'une femme qui se serre la taille : le sens étymologique c'est la femme qui a la taille bien serrée, et le sens figuré c'est quelque chose d'essentiel, quelque chose qui est charnière. Autrefois la femme était habillée comme une sorte de guêpe. C'est ça : la taille ça se serre.
Sinon on n'a pas grand-chose à dire dans ce paragraphe 14 parce que c'est la thèse qui s'expose, et après il y a l'argumentation : pourquoi être assis ?
Paragraphe 15.
« Nangaku dit au sujet de la méditation assise : « Si tu étudies la méditation assise, elle n’est pas de l’ordre d’être assis ou couché. » Ce mot du maître veut dire que la méditation assiseest la méditation assise et qu’il ne s’agit pas d’être assis oucouché. Depuis que (les éveillés et les patriarches) onttransmis cet enseignement dans sa pureté, c’est l’infinité desmouvements de nous asseoir et de nous coucher qui est devenuele Soi. Pourquoi vous demanderiez-vous alors si vous êtesproches ou éloignés de la veine vitale ? Comment discuteriez-vousde l’Éveil et de l’égarement ? Qui chercherait à supprimerles passions par la sagesse ? »
► La veine vitale, c'est quoi ?
Y O : J'ai traduit de façon littérale. La veine vitale désigne ce qui est extrêmement important, ce qui est transmis d'un patriarche à un autre, d'un éveillé à un autre, ce qui traverse tous les éveillés et des patriarches. Donc il y a l'essentiel dedans.
Dans ce paragraphe il y a une discussion très profonde. D'une part il est dit : « La méditation assise est la méditation assise (le zazen est le zazen) » c'est-à-dire A = A. Et d'autre part il est dit : « il ne s'agit pas d'être assis ou couché » et dans cette « infinité de mouvements de nous asseoir et de nous coucher » il y a "le Soi". Quel est l'enjeu de ce passage ? Moi je dirais que le paragraphe 14 précédent c'est la thèse, que celui-ci c'est l'antithèse et que le suivant c'est la synthèse.
► Quel est le sens de "Soi" ?
Y O : C'est jiko 自己 : j'ai traduit avec un S majuscule pour le distinguer du petit soi égotique (de l'ego). C'est la totalité de l'être.
F M : Est-ce que ça correspond à l'Atman en sanskrit ?
Y O : Non.
F M : C'est là la difficulté parce que quand on voit le Soi avec une majuscule on pense tout de suite à l'Atman.
Y O : Dans l'écriture sino-japonaise atman est traduit par ga 我, ça désigne l'ego ou le soi tout petit, personnel, tandis que jiko 自己, je peux vous l'affirmer en toute certitude, quand maître Dôgen utilise ce terme-là, c'est vraiment quelque chose de très noble, c'est la totalité de l'être qui n'est pas égotique.
► Ça n'a rien à voir avec la nature de bouddha ?
Y O : Si, je pense.
► Et on ne peut pas le traduire par « notre nature profonde » ?
Y O : Je suis d'accord, c'est ça, mais quand on est traductrice il vaut mieux – c'est mon attitude – éviter d'expliquer en traduisant.
F M : Le problème du Soi avec S majuscule que c'est employé dans le védanta : il y a le grand Soi et le petit soi, et le grand Soi c'est l'âme universelle, l'Atman, l'être essentiel, et donc c'est anti-bouddhique au possible, mais anti-bouddhique d'un certain point de vue parce qu'après au niveau des pratiques…
Y O : Oui mais moi quand j'explique à des philosophes français, ça se passe très bien, je dis que le Soi avec S majuscule c'est le Soi cosmique, c'est le Soi qui ne fait qu'un avec l'univers tout entier. Et par ailleurs pourquoi pas, il peut y avoir quelque réconciliation avec cet Atman universel.
► C'est l'esprit sans limite.
Y O : Tout à fait.
P F : C'est le moi n°3.
Y O : Bravo ! C'est pratique 1-2-3 !
D M : En chinois jiko n'est pas un mot très profond, et par exemple on peut renvoyer les deux termes ga et jiko ensemble, en disant c'est moi-même.
Y O : C'est très bien, David. Justement jiko 自己c'est la même chose puisque que ji 自en chinois et en japonais ça veut dire moi et le deuxième caractère ko 己 (onore) veut dire moi. Et ceci est la clé de ce terme jiko : il y a deux caractères synonymes côte à côte, ce qui donne le fait que ça crée un mouvement réflexif qui n'est autre que ce mouvement de cercle 1-2-3.
P F : Comme c'est moi-moi ça veut dire que ce n'est pas seulement le moi n°1, mais c'est le moi n° 3.
F M : Est-ce que ce n'est pas le moi-moi qui a intégré le non-moi dans le moi ?
Y O : Non parce que le moi n° 1 c'est moi, et toi alors Patrick, tu n'as rien à voir avec ça. Et en 2 c'est ce qu'on a vu dans le Genjôkôan : c'est l'altérité, l'autre est là. C'est-à-dire que dans la fraternité chaque moi fait le lien fraternel avec toi, et le moi qui a fait l'unité avec l'altérité, ça c'est jiko, donc ça devient réflexif.
Ajout après séance : Pour découvrir l'altérité, il faut rencontrer l'autre, disons plutôt "son autre". C'est comme lorsque maître Dôgen rencontra maître Nyojô. Précisons que cet autre est déjà là depuis toujours : il est depuis toujours et pour toujours aux tréfonds de soi-même, mais à notre insu. C'est l'un des plus beaux et des plus profonds paradoxes que tous les philosophes mystiques du monde (par exemple saint Augustin) signalent : pour se connaître soi-même en vérité et en profondeur, il faut découvrir son autre qui est déjà présent aux tréfonds de soi-même, et pour découvrir cet "autre", il faut justement le rencontrer en personne, réellement et effectivement. Cette découverte de son autre est ce que saint Augustin qualifie de "plus intime que l'intime de soi-même"[4], c'est-à-dire que le Dieu était déjà là au tréfonds de lui-même, mais à son insu.
P F : Tu appelles cela réflexif ?
Y O : Oui, dans ce contexte-là. De toute façon pour que ce soit réflexif il faut qu'il y ait l'autre, on ne peut pas être tout seul réflexif.
P F : Dans réflexif il y a quelque chose qui fait reflet.
Y O : Comme la lune au milieu de l'eau, aussi. Genjôkôan est toujours aussi extrêmement aidant quand on le comprend, il y a le passage où il y a la lune au milieu de l'eau.
C M : C'est ce que tu disais une autre fois : pour être un il faut être deux.
Y O : C'est ça. Il y a 1-2-3, et 3 c'est "2 en 1" et "1 en 2". Mais il faut méditer.
L'un et le multiple.
Cependant on n'a pas encore tout dit. Comment est-ce que vous comprenez ce passage ? Il y a l'infinité des mouvements de nous asseoir et de nous coucher qui est devenu le Soi. C'est-à-dire que dans le Soi il y a la multitude des mouvements possibles : s'asseoir, marcher, manger, se coucher, il y a le multiple. Et c'est toujours la même histoire de non-dualisme : si on parle de multiple il y a quelque part ce qui est Un. Ce Un ici, c'est quoi ?
► Vous pouvez répéter ?
Y O : Il y a le multiple dans Jiko d'après le texte : il y a la multitude des mouvements. Et il y a le moment de l'unité qui s'oppose sans s'opposer à ce multiple. C'est quoi ici ?
Ici l'Un c'est simple : zazen est zazen, la méditation assise est la méditation assise, c'est-à-dire qu'il y a zazen qui est l'Un et Jikô qui est le multiple.
M D : Et le zazen n'est pas séparé de tout ce qu'on fait, de notre vie tout entière. Toutes les règles du monastère sont telles qu'on vit le zazen à chaque instant, qu'on soit en train de dormir ou de faire pipi, tout est ritualisé de façon à ce que ce soit le sommeil et le pipi du bouddha. Il n'y a pas de séparation.
Y O : Mais justement c'est ça l'unité de l'un et du multiple.
L'Un est en 1, le multiple est en 2 et l'unité des deux est en 3.
C'est ce que vous pratiquez toujours. Le maître zen enseigne le zazen et ça englobe la totalité de la vie. Et la question – c'est ça l'antithèse – c'est : comment cet aspect assis peut-il englober la totalité ?
► De façon pratique on commence par l'assise et il faut que toute notre vie soit le déploiement de cette assise. Je crois que c'est dans le Fukanzazengi que Dôgen dit que le zazen ne dépend pas de la position assise ou couchée ou debout.
Y O : Oui mais c'est dit un peu partout, pas seulement dans Fukanzazengi. Et non seulement maître Dôgen mais aussi tous les maîtres soulignent ça, et même aujourd'hui les maîtres européens soulignent ça aussi : zazen englobe tout.
Donc il y a l'unité de l'Un (le zazen) et du multiple (Jikô, le Soi) avec tous les mouvements possibles). Mais comment l'aspect assis arrive à englober tout ? Ce n'est pas évident. Et dans le paragraphe 16 il y a la réponse.
Paragraphe 16.
« Nangaku dit : « Si tu apprends à être assis en éveillé, l’Éveillé n’est pas de l’ordre de l’aspect immuable. » C’estainsi que Nangaku glose sa parole précédente. Si être assis enéveillé se manifeste en tant qu’un ou deux éveillés, c’est parcequ’il a pour splendeur de n’être pas de l’ordre de l’aspectimmuable de l’Éveillé. En disant que l’Éveillé n’est pas del’ordre de l’aspect immuable, Nangaku expose l’aspect del’Éveillé. Puisque l’Éveillé n’est pas de l’ordre de l’aspectimmuable, il est tout à fait impossible d’éviter d’être assis enéveillé. S’il en est ainsi, étant donné la splendeur de n’être pasde l’ordre de l’aspect immuable de l’Éveillé, l’étude de laméditation assise consiste à être assis en éveillé. S’agissantdes existants qui ne demeurent nulle part, qui pourrait choisirceux qui sont de l’Éveillé et rejeter ceux qui ne le sont pas ?Puisqu’on se dépouille d’avance de ce choix, on est assis enéveillé. »
Y O : Quand on comprend ce paragraphe – peut-être pas tout de suite – on trouve que c'est magnifique.
D'abord une remarque : « L'Éveillé n'est pas de l'ordre de l'aspect immuable » la traduction peut se discuter. Il s'agit de l'expression hijôsô 非定相 : hi 非 c'est « ce qui n'est pas de l'ordre de » il y a vraiment un changement du niveau ; jô 定 je l'ai traduit par « immuable » mais on peut très bien traduire banalement par « fixe, figé, déterminé » ; et sô 相 c'est l'aspect.
► L'Éveillé n'est pas une entité fixe. Ça renvoie au multiple.
Y O : Tout à fait.
Ici il est dit que « L'Éveillé n'est pas de l'ordre de l'aspect immuable. » Mais certains considèrent que la transcendance est invisible, non représentable, et dans cette position-là on oppose l'invisible au visible, ce qui est irreprésentable à ce qui est représentable : en ce sens-là ce n'est pas la totalité car la véritable totalité doit englober son contraire.
En tout cas l'argument de ce dialogue est là et c'est pourquoi l'Éveillé qui n'est pas de l'ordre de l'aspect figé, immuable, peut être un éveillé assis, ou deux éveillé assis.
P F : S'il y a plusieurs personnes qui peuvent être éveillées, c'est bien la preuve qu'il n'y a pas une forme unique de l'éveil.
Y O : Voilà, c'est l'unité de l'un et du multiple.
Je prends une comparaison pour vous expliquer ce que peut être le côté figé d'une conception de la totalité. Quand on dit « Tout est faux » : cette proposition se nie elle-même puisqu'elle se déclare elle-même fausse.
Par exemple opposer l'éternité au temps est une limitation, c'est une position figée. La véritable éternité doit englober le temps à l'intérieur d'elle-même. C'est toujours la même histoire de non-dualisme.
Un autre exemple plus banal : le vrai bonheur doit englober à l'intérieur de lui-même la souffrance. S'il n'y a que le bonheur qui s'oppose au malheur, ce n'est pas vraiment la totalité du bonheur.
P F : L'éternité telle que je t'ai entendu en parler jusqu'à présent était placée en verticale avec un déroulement temporel horizontal[5]. Je voyais cette éternité dont tu parles plutôt comme quelque chose qui n'est pas de l'ordre du temps. Donc si ce n'est pas de l'ordre du temps ça peut difficilement l'englober.
Y O : Ah d'accord. Justement cette éternité dont tu parles est située au n° 2 du cercle. Mais la véritable unité du temps et de l'éternité, si on utilise ce mot, c'est la totalité des temps dynamiques – en tout cas en ce qui concerne maître Dôgen – : tous les temps (passé, présent et futur) ensemble se présentent et c'est l'interaction profonde et complète, et ça c'est le n° 3 du cercle.
P F : Là ça va mieux.
Y O : Non je ne dis pas n'importe quoi, tout est fondé.
Paragraphe 17.
« Nangaku dit : « Si tu es assis en éveillé, cela n’est autre que tuer l’Éveillé. » Quand on apprend encore en profondeur à êtreassis en éveillé, on acquiert le mérite de tuer l’Éveillé. À ce juste-moment-tel-quel où on est assis en éveillé, on tuel’Éveillé. Si l’on réfléchit, tuer l’Éveillé doit avoir toujours lesmarques et la claire Lumière de l’être assis en éveillé. Mêmesi le mot « tuer » est semblable au langage du commun desmortels, ne le confondez pas simplement avec ce dernier. Ilfaut aussi étudier à fond comment et sous quelles formes êtreassis en éveillé n’est autre que tuer l’Éveillé. En relevant et entriturant la vertu acquise de l’Éveillé qui consiste déjà à tuerl’Éveillé, réfléchissez également si nous avons déjà tuél’homme ou ne l’avons pas encore tué. »
Y O : Tuer l'Éveillé c'est satsubutsu 殺佛. Je crois que c'est assez connu.
► Il y a une phrase connue : « Si tu rencontres le bouddha, tue-le. » En effet si le bouddha correspond à une représentation du bouddha et non pas au fait de vivre le bouddha, il faut le tuer puisque ça nous empêchera d'être nous-mêmes bouddha. Quand on est un bouddha on n'a pas de préconception sur le bouddha.
Y O : Ce que je pense rejoint un peu ça.
On a vu tout à l'heure que l'Éveillé n'était pas de l'ordre de l'aspect figé, immuable, c'est-à-dire que c'est l'infinité de dévoilements.
Donc quand on dit que l'Éveillé est l'Éveillé, c'est A = A, zazen est zazen, et du moment que cette affirmation première de l'identité est dite, toujours cette copule "être" englobe la totalité de ce qui est zazen et de ce qui est l'Éveillé. Et l'Éveillé puisqu'il est la totalité, toujours il y a la nouveauté de dévoilement : l'Éveillé n'est jamais tel que je l'ai imaginé jusque-là. Là tout le monde est d'accord.
► On peut dire que "tuer l'Éveillé" c'est "devenir un avec l'Éveillé" c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'Éveillé en dehors de ça.
Y O : Oui, simplement toujours je souligne que c'est un à condition que cette unité ne soit pas figée, que ce ne soit pas collé, c'est comme la lune au milieu de l'eau. Il faut que ce soit mobile sinon il n'y a pas de dévoilement.
Paragraphe 18.
« (Nangaku continue) : « Si tu tiens à l’aspect assis, tu n’atteindras pas le principe de la Voie. » Tenir à l’aspect assisveut dire que, en rejetant l’aspect assis, on le souille. Ceprincipe met en évidence que, du moment qu’on est déjà assisen éveillé, il est impossible de ne pas tenir à l’aspect assis.Puisqu’il est impossible de ne pas y tenir, malgré la limpiditéde l’aspect assis auquel on tient, on n’atteindra pas le principede la Voie. Telle est la pratique ingénieuse appelée ledépouillement du corps et du cœur. Ceux qui ne se sontjamais assis en éveillé ne sauraient prononcer ce mot. Celui-ciappartient au moment d’être assis, à l’homme assis, àl’Éveillé assis, à l’étude de l’être assis en éveillé. Être assisen éveillé ne concerne pas le simple mouvement de s’asseoirou de se coucher chez l’homme. Bien que l’homme assis ressembleà l’être assis en éveillé et à l’éveillé assis, c’estcomme s’il y avait l’éveillé qui fait de soi un homme etl’homme qui fait de soi un éveillé. Quoiqu’il y ait deshommes qui font d’eux des éveillés, tous les hommes ne lefont pas, et les éveillés ne sont pas tous les hommes. Puisquetous les éveillés (1) ne sont pas seulement tous les hommes, leshommes ne sont pas toujours les éveillés, et les éveillés nesont pas toujours les hommes. Être assis en éveillé est égalementainsi. »
Note 1 : Dans la traduction primitive le mot "hommes" était écrit à la place de "éveillés", il faut corriger.
Y O : Il y a le terme datsuraku 脱落 (dépouillement) et aussi ici quelque chose qui n'est pas complètement nié et pas complètement affirmé, en philosophie en appelle ça le jeu de la contingence et de l'absolu. Il y a l'homme et il y a l'Éveillé : l'homme peut être l'Éveillé mais pas toujours, et l'Éveillé peut être un homme n'est pas toujours, ça dépend. Et ce « pas toujours, ça dépend » ça s'appelle le jeu de la contingence et de l'absolu.
Dans ce « pas toujours, ça dépend » il y a la méditation assise : on est libre de faire zazen ou de ne pas faire zazen ; si on fait zazen on peut devenir éveillé, mais pas toujours, ce n'est pas complètement garanti ; et de toute façon si on ne fait pas le zazen il n'y a pas aucune chance de devenir éveillé.
Donc il y a le mot datsuraku (dépouillement), et le dépouillement c'est un peu comme la pensée : laisser passer les pensées sans les écarter ni s'y attacher. Souvent on s'imagine que datsuraku c'est quelque chose d'extrêmement vigoureux, sanglant. Non, il faut dépasser cette opposition-là.
► Et peut-être que « tuer le bouddha » devient en français « Tu es le bouddha ».
Y O : C'est super.
Je pense aussi à quelque chose comme ça : le maître dit à un de ses disciples « Qu'est-ce que tu fais là ? » ; celui-ci répond « Je tue le temps » ; et le maître : « Tu es le temps », quelque chose comme ça. C'est Uji, le temps qu'il y a.
Paragraphe 19.
« Tel est le dialogue de Nangaku, maître éminent, et Kôzei,disciple vaillant. C’est Kôzei qui atteste qu’être assis enéveillé n’est autre que faire de soi un éveillé, et c’est Nangakuqui enseigne à être assis en éveillé pour qu’on fasse de soi unéveillé. Il y a eu une telle pratique ingénieuse dans l’école deNangaku et une telle instruction à l’école de Yakusan. Sachez-le,c’est en étant assis en éveillé que les éveillés et lespatriarches puisent leur dynamique essentielle. Ceux qui sontdéjà là en tant qu’éveillés et patriarches ont tous fait l’usagede cette dynamique essentielle. Ceux qui n’en sont pas làn’ont pas encore vu celle-ci, même en rêve. »
Y O : « C'est en étant assis en éveillé que les éveillés et les patriarches puisent leur dynamique essentielle » : c'est dans cet aspect spécial que sans rejeter on puise la dynamique essentielle. La fin est importante aussi : de toute façon zazen n'est qu'un aspect parmi d'autres, parce qu'on est assis, on n'arrive jamais à l'essentiel.
Comme comparaison un peu banale je dirais ceci : on désire sauver l'humanité tout entière, et si vraiment on veut sauver l'humanité tout entière, il faut commencer par aider le voisin. L'assise c'est ça.
Fin de séance.
Avant de se quitter chacun peut dire un mot sur ce qu'il a gagné ou pas gagné (mushotoku) avec cette lecture d'aujourd'hui.
Note : Le tour de table n'est pas transcrit ici juste le mot de la fin après que quelqu'un ait évoqué sa difficulté de comprendre le texte pendant la séance et la nécessité de le reprendre.
F A : Il y a une chose dans les textes chinois, c'est François Jullien qui parle de ça : il faut les lire et les relire, et les savourer. Un texte c'est quelque chose qu'on savoure, c'est vraiment par la lecture répétée et la relecture que la saveur de la chose arrive. Ce n'est pas forcément tout de suite une compréhension. Vouloir s'agripper à la compréhension, il dit que c'est une erreur. Il s'agit de les lire et de les relire, et selon le moment où on les relit il va y avoir un éclairage différent. Et il y a un côté de savourer.
P F : Ça c'est peut-être d'autant plus vrai en chinois et en japonais que c'est pluri-évocateur, les kanji sont très riches. Mais là en français, se cogner (ou se frapper) le texte vingt fois de suite c'est difficile d'y trouver une richesse évocatrice dans ces concepts qui semblent assez philosophiques en fin de compte.
Y O : L'unique chose que je peux vous garantir avec une immense certitude, quelle que soit la difficulté de compréhension, le texte est cohérent et très profond.
La prochaine fois.
On n'a pas eu le temps de lire les paragraphes sur le polissage de tuile (masen) mais quand même on a lu la deuxième partie jusqu'à la fin. Pour la prochaine fois je vous prie de travailler comme révision les questions 4-5-6 du guide de travail parce que ça reprend exactement ce qu'on a médité ce soir.
La prochaine fois on lira ce qui concerne le polissage de tuile (dans la deuxième partie du texte).
Note : François Marmèche a proposé de lire l'extrait des Entretiens de Mazu où se trouve la source de maître Dôgen concernant le dialogue de Nangaku et de Mazu. Pour que ce soit plus simple l'extrait a été mis dans un autre fichier : « Extrait des Entretiens de Mazu. » dans la traduction de Catherine Despeux avec une grande partie des notes.
Puis on lira la troisième partie du texte, et on réservera le quart d'heure de la fin pour que François Aubin nous fasse un exposé sur la peinture de Giacometti.
[1] Shiryô, "la pensée", fushiryô, "la non-pensée", et « hishiryô pensée au-delà de la pensée, pensée du tréfonds de la non-pensée, pensée sans penser (Absolue pensée) » (Maître Deshimaru, Revue Question De. No 41. Mars 1981).
« Je répète toujours que, durant zazen, il faut aller de pensée en non-pensée, de non-pensée en pensée. Telle est la conscience hishiryô. » (Dans Les sept principes de Dôgen commentés par Maître Deshimaru).
[2] Voir le 4ème paragraphe de Zazenshin.
[3] « Ce n'est plus moi qui vis mais le Christ qui vit en moi. » (st Paul, Lettre aux Galates ch 2 verset 20)
[4] Augustin s'adresse à Dieu : « Toi, tu étais plus intime que l'intime de moi-même, et plus élevé que les cimes de moi-même. » (Les Confessions livre troisième, chapitre 6). « Tard je t'ai aimée, Beauté si ancienne et si nouvelle […] C'est que tu étais au-dedans de moi, et moi j'étais en dehors de moi ! Et c'est là que je te cherchais. » (Les Confessions livre dixième, chapitre 27).
[5] Allusion au schéma fait lors de l'étude de jisetsu (moment favorable) dans le début du Genjôkôan.