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Ateliers d'étude du Shôbôgenzô avec Yoko Orimo
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Ateliers d'étude du Shôbôgenzô avec Yoko Orimo
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30 avril 2013

Compte-rendu Zazenshin 2è séance 22/04/2013

 

Atelier d’étude du Shôbôgenzô à l’Institut d’Études Bouddhiques 22/04/2013

Animé par Yoko Orimo

 

Zazenshin 坐禪箴
Maximes de la méditation assise

 

 Ce message existe ici en fichier docx : Y_Orimo_IEB_2013_04_22_Zazenshin_2  ;

et en fichier padf : Y_Orimo_IEB_2013_04_22_Zazenshin_2 .

 

Présentation de la transcription :

Cette transcription concerne la plus grande partie de la séance du 22 avril avec quelques changements puisque le passage de l'oral à l'écrit nécessite quelques modifications. La séance a commencé par l'introduction de thèmes concernant la partie de Zazenshin lue pendant la séance. Ensuite retour sur la séance précédente pour répondre aux trois première questions du guide de travail (voir sur le blog), avec à chaque fois un tour de table : comme la plupart des choses avaient été dites à la séance précédente, et que je n'avais pas le temps de tout reprendre, ce moment ne figure pas dans ce compte-rendu.

Plan : Introduction de quelques thèmes ; lecture des 6 premiers paragraphes de la partie de Zazenshin consacrée au dialogue entre Nangaku et Baso ; une très brève introduction à la lecture de "l'atelier" de Giacommetti.

                                                                       Christiane Marmèche

 

 

Y O : Aujourd'hui nous poursuivons la lecture de Zazenshin, Maxime de la méditation assise. Et plus précisément nous allons lire la première moitié de la deuxième partie. Comme je vous l'ai expliqué la dernière fois, la deuxième partie est la plus longue des trois parties de Zazenshin. Elle est entièrement basée sur le dialogue de Nangaku Ejô 南嶽懐譲 (677-744) avec son disciple Baso Dôishi 馬祖道一, en chinois Mazu (709-788). Je vous rappelle aussi que Nangaku est l'un des disciples du sixième patriarche Daikan Enô (Huineng) et qu'il a eu à son tour de très nombreux disciples dont Baso Dôishi. Par ailleurs Nangaku et Baso sont tous les deux les lointains patriarches de la lignée Rinzaï[1]. Ils vivaient au VIIIe siècle en Chine sous la grande dynastie des Tang, c'est l'époque de l'âge d'or du bouddhisme chinois.

P F : Baso ça veut dire quoi ?

Y O : Ba 馬 c'est le cheval et so 祖 c'est le patriarche. Donc Baso 馬祖c'est le patriarche des chevaux parce qu'il est fort.

Et Nangaku 南嶽littéralement ça veut dire "Le rocher du Sud", quelque chose comme ça.

 

Les principaux thèmes qui vont être abordés.

Dessin et dessein.

Au début de cette deuxième partie de Zazenshin, de quoi parlent Nangaku et Baso ?

► Du dessein ou du dessin.

Y O : Il y a là une coïncidence linguistique fabuleuse puisque que zu 図 désigne :

– d'une part le dessin comme dessiner, et aussi la carte, le plan ;

– d'autre part le dessein, l'intention.

Et dans la langue française justement il y a coïncidence puisqu'il y a les deux mots homonymes dessin et dessein.

Sabutsu et Gyôbutsu.

La dernière fois nous avions vu les deux termes :

sabutsu 作仏: faire de soi un éveillé

gyôbutsu 行仏: pratiquer l'Éveillé, ou la pratique de l'Éveillé.

Et avec ce caractère zu 図 et le thème qui gravite autour de ces deux mots (sabutsu et gyôbutsu) : avoir l'intention de faire de soi un éveillé, et le dessin de l'Éveillé, nous allons approfondir notre compréhension  de sabutsu et gyôbutsu.

Le polissage de la tuile.

Grâce au deuxième passage que nous allons méditer ensemble dans cette première moitié du dialogue de Nangaku et Baso, vous atteindrez le niveau de kenjô 見成 : la réalisation comme vision en ce qui concerne votre compréhension du zazen. Il s'agit du polissage de la tuile. C'est une métaphore, c'est-à-dire que quand son maître Nangaku est en train de faire zazen, son disciple Baso qui est un brillant disciple, lui pose la question : « Maître que faites-vous ? » et Nangaku répond en prenant un morceau du tuile et il commence à le polir pour dire que le zazen consiste à polir un morceau de tuile. Ça s'appelle la métaphore de masen 磨塼(du polissage de la tuile) : ma 磨 c'est polir et sen 塼 c'est un morceau de tuile. Nous verrons que les commentaires de maître Dôgen sont tout à fait extraordinaires. Nous allons voir quelle est l'essence même de la méditation assise (du zazen 坐禅).

 

Paragraphe 1

Lorsque maître Daijaku Kôzei faisait les études auprès de maître Nangaku Daie, Daijaku pratiquait toujours la méditation assise depuis que son maître lui avait conféré le sceau du cœur de l’Éveillé (la transmission de la Voie). Un jour Nangaku lui posa la question : « Dans quel dessein pratiques-tu la méditation assise ? (En pratiquant la méditation assise, que dessines-tu ?) ».

Y O : Ce paragraphe est une introduction.

► Pourquoi est-ce que "le sceau du cœur de l'Éveillé" c'est la transmission ?

Y O : Le sceau du cœur de l'Éveillé c'est le terme mitsujushin 密受心. Il s'agit d'une métaphore, parce qu'il y a une différence entre les deux traditions Rinzaï et Sôtô, en effet dans le Sôtô on n'utilise pas vraiment le sceau matériel en tant que tel. C'est l'idée qu'il n'y a qu'un seul Éveil et que quand l'Éveil se transmet de maître à disciple, c'est exactement le même : c'est le même sceau, donc le même Éveil. C'est-à-dire que je ne transmets pas mon éveil à moi, personnel, particulier, partiel, à mon disciple : non, je transmets l'éveil de l'Éveillé. D'où « le sceau de l'Éveillé ».

► Dans le Shôbôgenzô il y a un très beau passage où maître Dôgen dit : « Quand on pratique zazen, c'est le zazen de tous les éveillés ». Donc : ne croyez pas que c'est votre zazen, mais c'est le zazen de tous les éveillés.

Y O : C'est très intéressant, d'autant plus que maître Dôgen va justement aborder philosophiquement (on peut le dire) le rapport entre l'un et le multiple. Nous formons la multitude des personnes, chacun a sa figure, sa manière de faire zazen, alors que l'Éveillé est l'Éveillé avec un É majuscule. Il faut travailler ce rapport à la fois contradictoire et tout à fait unifiant entre  sabutsu et gyôbutsu :

 – sabutsu, faire de soi un éveillé : c'est de l'ordre du particulier ;

–  gyôbutsu, c'est la pratique de l'Éveillé.

Tout à l'heure on verra une métaphore qui représente très bien cette différence : maître Dôgen utilise la différence entre un dragon sculpté (chôryû 彫竜), et le vrai dragon (shinryû 眞竜). Il y a une multitude de dragons sculptés. Mais on verra que maître Dôgen dit que tous les deux ont le pouvoir de faire pleuvoir.

Je vous rappelle que dans la légende sino-japonaise le dragon est un animal mythique qui est supposé posséder des pouvoirs surnaturels, et parmi eux, il y a le pouvoir de faire pleuvoir. Et dans notre texte maître Dôgen dit que le vrai Dragon mais aussi le dragon sculpté ont tous les deux le pouvoir de faire pleuvoir.

J'ai un peu anticipé la problématique, mais ce thème est très important : il y a l'unité de l'un et du multiple, mais pour atteindre le stade de l'un il faut passer par le multiple donc par sabutsu, c'est-à-dire le dragon sculpté.

► J'ai une remarque : ce qui me paraît étonnant « Dans quel dessein (dans quel but, quelle intention) pratique tu la méditation assise ? » Or normalement on pratique sans intention, sans but. Donc là il y a un paradoxe.

Y O : Mais justement, et là je pose la question aux pratiquants : le vrai zazen ne doit avoir aucune finalité extérieure, mais est-ce que les pratiquants arrivent d'emblée à ce stade-là, sans aucune finalité extérieure ?

M D : Non ! C'est un merveilleux slogan mais la réalité c'est qu'on essaie d'abord d'avoir de bons zazen sans trop de pensées etc. et ensuite on veut atteindre l'éveil, bien sûr puisqu'on est des machines à désirer dans cette société, alors comment ne pas désirer l'illumination ? Et il y a simplement un moment où on reconnaît que c'est déjà là et où on peut lâcher ce désir.

Y O : Mais justement c'est ça sabutsu et gyôbutsu : on n'est pas tout de suite gyôbutsu (l'Éveillé en pratique) il faut toujours passer par le stade de sabutsu.

D M : Dans le christianisme on dira que dès qu'on est en prière – car pour moi le mot méditation est plutôt du côté de la spiritualité ignacienne – bien sûr qu'on n'a pas atteint le but tout de suite, mais en même temps on l'a déjà atteint. Vous, vous y êtes déjà dans la méditation zen, seulement vous n'en avez aucune idée.

C M : Ce qu'on fait en zazen ce n'est pas de la "méditation" au sens courant du terme. D'ailleurs le terme méditation me gêne beaucoup pour indiquer ce qu'on fait en zazen.

M D : La véritable méditation c'est la non-méditation.

Y O : On peut dire ça aussi.

F M : Moi je crois qu'il y a aussi le fait qu'il y a toujours une intention au départ. Il faut bien par exemple avoir l'intention de faire un sesshin, on prend la décision de le faire et là on est bien dans une intention. L'intention permet aux choses de se passer.

Y O : Au sens où le disait Michel, on est obligé d'avoir l'intention de ne pas avoir l'intention, ça c'est la nature humaine, mais c'est encore une intention.

► Dans les quatre vœux qu'on récite après certaines séances de zazen on dit bien : « Si difficile que ce soit, je fais vœu de devenir un bouddha », c'est le quatrième vœu.

P F : Et on nous dit de le dire, alors on le dit. Il faudrait peut-être en réviser la traduction.

 

Paragraphe 2

À tête reposée, étudiez à fond et pratiquez avec ingéniosité cette question. Y aurait-il un dessin (dessein) à réaliser au-delà de la méditation assise, ou bien, l’expression qui devrait se dessiner en dehors de la méditation assise n’est-elle pas encore réalisée ? Ne faudrait-il avoir aucun dessein (dessin), ou bien, la question consisterait-elle à savoir quel dessin (dessein) se réalise comme présence au juste moment de la méditation assise ? Pratiquez-le avec ingéniosité et minutie.

Y O : Ce paragraphe correspond à ce que nous avons dit juste avant.

 

Paragraphe 3

Aimez volontiers le vrai dragon plutôt que le dragon sculpté. Sachez-le, le dragon sculpté et le vrai dragon ont tous deux la puissance de faire pleuvoir. Ne vénérez pas ce qui vous est lointain ; ne le méprisez pas non plus. Apprivoisez-vous au lointain. Ne méprisez pas ce qui vous est proche ; ne le vénérez pas non plus. Apprivoisez-vous au proche. Ne prenez pas à la légère vos yeux ; ne leur donnez pas non plus trop de poids. Ne donnez pas trop de poids à vos oreilles ; ne les prenez pas non plus à la légère. Rendez clairs et limpides et vos yeux et vos oreilles.

► C'est ici qu'on trouve les dragons.

Le vrai dragon et le dragon sculpté.

Y O : Le dragon sculpté c'est chôryû 彫竜(ou 彫龍) et le vrai dragon c'est shinryû 眞竜  (ou 眞龍). Il y a sans doute des pratiquants qui ont ce nom Shinryû (Vrai dragon).

Donc on a vu que le vrai dragon est de l'ordre de l'Un : vous pratiquez sans aucune intention ni aucun dessein, ça c'est le vrai dragon, l'Éveillé en pratique. Mais maître Dôgen dit en même temps : « Sachez-le le dragon sculpté – c'est-à-dire qu'on essaie de faire de soi un éveillé, c'est de l'ordre de sabutsu – et le vrai dragon ont tous deux la puissance de faire pleuvoir » c'est-à-dire que tous les deux sont efficaces.

P F : C'est l'histoire de Pinocchio finalement : la marionnette de bois finit par agir comme un petit garçon, et tous les deux, le petit garçon et la marionnette, sont capables de danser.

Y O : C'est ça.

► Le vrai dragon c'est pratiquer sans intention. Et pour le dragon sculpté je n'ai pas bien entendu.

Y O : Le dragon sculpté c'est avoir un dessin (dessein) dans les deux sens, c'est-à-dire qu'on est obligé, étant donné la nature humaine, même si on dit que le zazen c'est la vacuité, donc n'avoir aucune finalité extérieure, quelque part, toujours, chez nous, il y a cette intention de faire de soi un éveillé. Sculpter un éveillé, je crois que c'est quand même ce que vous faites.

P F : Quand on redresse la posture, qu'on rentre le menton…

► Parfois ça se fait tout seul.

P F : Voilà : parfois ça se fait tout seul et on est dans le vrai dragon, parfois on se dit « il faut que je m'étire vers l'arrière » on est dans le dragon sculpté.

Y O : Mais « ça c'est nécessaire » dit maître Dôgen justement.

► Mais la désignation du dragon, elle sort d'où ?

Y O : C'est une métaphore très fréquente dans les textes bouddhiques sino-japonais parce qu'on suppose que le dragon a une puissance surnaturelle. J'ai d'ailleurs oublié de dire que le dragon est une métaphore du moine éminent, du pratiquant éminent.

► Moi, indépendamment de cette métaphore, je ne sais pas ce que c'est que le vrai dragon, mais je sais que le dragon sculpté c'est une représentation. D'ailleurs Dôgen parle ensuite de représentation quand il parle de la captation de la réalité par les sens.

Y O : Tout à fait, et ceci il faut le faire, c'est de l'ordre de shiki (skr. rûpa) c'est-à-dire les formes-couleurs.

► Et donc le vrai dragon c'est le patriarche qui incarne l'éveil.

Y O : Il est pétri de l'éveil. Mais il n'y a pas que les patriarches, pour les laïcs c'est possible.

Lointain et proche.

An : Dôgen parle du lointain et du proche. C'est comme si c'était des consignes de lecture de la réalité. Il y a une espèce de fluidité qui est suggérée à propos de ce qui est loin et de ce qui est proche.

Y O : Qu'est-ce que maître Dôgen dit avec cette fluidité de la distance : loin ou proche, il préconise de ne donner ni trop de poids ni pas assez. Et le mouvement est le même : ne pas mépriser ce qui est proche, ne pas désirer ce qui est lointain. Qu'est-ce qui est souligné par là ?

► Il y a l'idée de ne pas forcément donner du crédit à la perception qui arrive par les organes des sens, mais ça va dans l'autre sens aussi.

Y O : C'est exactement ça. C'est-à-dire que la perception est indispensable pour sculpter le dragon mais « Ne donnez pas autant de crédit » c'est-à-dire que la perception n'est que la perception, mais en tant que perception elle est utile, elle est indispensable.

► Est-ce qu'il n'y a pas l'idée de vacuité, d'espace, entre la perception et le perçu ?

Y O : La fluidité du mouvement sans doute.

► Ce n'est pas collé.

► Ça me fait penser que le dragon sculpté finalement c'est ce qui colle à la représentation.

Y O : C'est ça : « vous sculptez, mais ne vous raccrochez pas pour autant à ce qui est sculpté. » Mais ça vaut la peine de sculpter. Donc il y a le paradoxe.

F R : « Ne donnez pas trop de poids à vos oreilles… » Moi je rapprocherais cela de ma pratique : voir sans voir, entendre sans entendre.

Y O : Très bien.

Fl : Le lointain et le proche ça m'évoquerait davantage l'aspect des perceptions externes, c'est-à-dire des bruits qui peuvent nous parvenir, par exemple le chant d'un oiseau, et puis il y a ce qui se passe intérieurement. Le lointain c'est l'extérieur et le proche c'est plutôt les mouvements intérieurs.

Y O : Oui, on peut comprendre comme ça aussi. Et il y a l'important qui est ce qu'on a dit tout à l'heure : ne pas s'y coller.

A G : Moi je n'avais pas du tout compris cette allusion au dragon. J'avais interprété le vrai dragon comme ce qui est loin pour les pratiquants parce qu'ils vont mettre énormément de temps à devenir un vrai dragon : donc « Ne le vénérez pas, ne méprisez pas, il est loin de vous ». Et de même, le dragon sculpté c'est ce qui est proche et que vous faites aujourd'hui : « Ne le vénérez pas et ne méprisez pas non plus ». Le vrai dragon est loin de vous mais ça viendra.

Y O : Oui c'est une interprétation plausible.

► J'apprécie ce que tu dis mais en fait le vrai dragon n'est pas loin du tout, seulement on ne le sait pas.

F A : Plus prosaïquement, cette affaire du proche et du lointain est une affaire de peintre. Comme on en avait convenu, j'ai apporté une reproduction d'une nature morte de Giacometti où on voit très bien comment le lointain va être proche et vice et versa, et en même temps le proche et proche et le lointain et lointain. C'est-à-dire que là le paradoxe est tout à fait visible. Il faudra prendre le temps de regarder ça.

Y O : On verra ça à la fin de la troisième séance peut-être. C'est passionnant comme thème. En tout cas on va réserver un moment pour l'exposé de François.

F M : Si tu as apporté la reproduction, François, ce serait bien qu'on ait le temps de la regarder avant d'en  parler[2].

 

Paragraphe 4

Kôzei dit : « J’ai le dessein de faire de moi un éveillé. » Clarifiez cette réponse et faites-la vôtre. Que doit vouloir dire : « faire de soi un éveillé » ? Veut-il dire que l’Éveillé fait de vous des éveillés, ou bien, vous faites (à partir) de l’Éveillé des éveillés ? S’agit-il de faire ressortir l’un de ces deux aspects de l’Éveillé, ou bien, s’agit-il de faire ressortir ces deux aspects de l’Éveillé ? Avoir le dessein de faire de soi un éveillé n’étant autre que de se dépouiller, s’agit-il du dessein qui se dépouillerait de lui-même ? Même s’il s’agit de faire de soi un éveillé à dix mille facettes différentes, est-ce l’entrelacement de ces desseins qui est appelé : « avoir le dessein de faire de soi un éveillé » ?

Y O : C'est un paragraphe assez difficile !

Q : Il y a une très belle phrase : « le dessein qui se dépouillerait de lui-même ».

Y O : Oui, c'est très beau. Vous avez des commentaires ?

►Moi c'est entrelacement qui m'a interpellé parce que dans ma pratique, il y a des choses qui arrivent et qui passent.

Y O : Oui, ça c'est plutôt de l'ordre de la pensée, mais également au niveau du dessin (dessein) il y a des entrelacements, les uns après les autres.

Le mot entrelacement c'est kattô 葛藤.

L'un et les multiples.

C M : Dans ce paragraphe on voit apparaître le pluriel.

Y O : Tout à fait. Justement, tout ce qu'on explique est de l'ordre de sabutsu… Et la philosophie c'est pareil, ça n'a pas de consistance en soi. On appelle ça aussi des moments logiques, ils n'ont pas de consistance en soi en ce sens que c'est une explication momentanée. Mais il faut le faire, comme dit maître Dôgen les deux sont importants.

– Sabutsu c'est de l'ordre du multiple, ce sont les éveillés, chacun, vous-même ;

– Gyôbutsu c'est de l'ordre de l'Un, de l'Éveillé.

Remarque : En fait c'est moi qui écris "les éveillés" ou "l'Éveillé" car dans le texte original il n'y a pas cette distinction. Mais on peut travailler comme cela, c'est 'intérêt de la traduction.

– et finalement l'Un et les multiples ne font qu'un.

Quand maître Dôgen dit : « S'agit-il de faire ressortir l'un de ces deux aspects de l'Éveillé » je crois qu'il parle justement de l'aspect de l'Un et de l'aspect des multiples.

► Je n'ai pas compris ce paragraphe entier.

P F : Moi non plus. Si je reprends ce que j'ai pigé. Il y en a un qui pose la question à l'autre : « Mais c'est quoi ton intention, qu'est-ce que tu as en tête quand tu fais zazen ? » L'autre répond : « J'ai l'intention de faire de moi un éveillé, que ça te plaise ou non » et en plus « c'est moi le maître ». Donc on est face à cette réponse qu'on n'attendait pas dans le texte. Et il explique… mais en fait il procède comme toi Yoko, il pose des questions, il dit : « Clarifiez cette réponse » exactement comme dans ton guide de lecture. Alors « Qu'est-ce que ça veut dire cette réponse ? Et il dit : « Il y a plusieurs formules, il y a plusieurs façons de comprendre. » Dès le début il y en a déjà deux, et moi j'ai du mal à capter à quoi ça correspond. Une première façon de comprendre c'est que l'unité (l'Un) fait tout le travail c'est-à-dire que l'Éveillé fait de nous des éveillés, l'Éveil nous emmène dans son carrosse. L'autre formule c'est : « Vous faites du boulot. Et qu'est-ce que vous faites comme boulot ? Vous demandez à ce Un de vous emporter, c'est-à-dire que vous prenez le Un et vous le transformez en du multiple : vous faites de l'Éveillé des éveillés. » Finalement il nous pose une colle. Alors est-ce qu'il nous pose une colle en disant : « Il faut choisir : est-ce ça ou est-ce ça ? » Ou est-ce qu'il veut dire par là qu'en réalité si on réfléchit un peu, c'est les deux en même temps ?

Y O : C'est très bien, je vais récapituler ça tout à l'heure.

An : J'ai l'impression que dans les deux aspects, il y a d'une part qu'on reçoit l'éveil de la part d'un Éveillé alors que dans l'autre c'est nous qui faisons le boulot à partir de la matière qu'on a. Il y a un côté passif et un côté actif.

M D : Est-ce que les deux, justement, ne doivent pas être activés ? Nous sommes tous intrinsèquement des éveillés, mais pour être éveillé nous devons faire la pratique des éveillés, nous devons faire la pratique d'être un bouddha. Ce passage aussi me rappelle ce qu'on dit dans le bouddhisme Vajrayâna que tout est le déploiement de l'Éveil : le multiple est en quelque sorte le déploiement de l'Un.

P F : Alors tu répondrais quoi à la question de Dôgen parce qu'après il dit : « Alors, mon vieux, il s'agit de faire ressortir plutôt l'un que l'autre, ou bien est-ce qu'il s'agit de faire ressortir les deux ? »

F C : Dôgen apporte une réponse puisqu'il dit « Avoir le dessein de faire de soi un éveillé n'étant autre que se dépouiller » et je me demande si à nouveau il n'y a pas ce rythme un peu ternaire de l'Un, du multiple et du retour à l'unité des deux.

Y O : Ce que vous évoquez tous c'est ce qu'on appelle en philosophie le moment de la médiation qu'on ne peut jamais saisir. Plus concrètement je peux demander à Patrick par exemple : « Quand tu pratiques zazen, qui pratique finalement ? » parce qu'il y a toi et l'Éveillé, est-ce toi qui pratique ou est-ce que c'est l'Éveillé qui pratique ?  Mais c'est « ni l'un ni l'autre » : c'est ni toi ni l'Éveillé qui pratique puisque justement, et là c'est le paradoxe spéculatif : « c'est à la fois toi et l'Éveillé » et c'est ce moment qui s'appelle le moment logique de la médiation.

P F : C'est ça que tu voulais dire, François, quand tu citais la phrase de Dôgen en disant que c'était sa réponse : « se dépouiller ». Parce que la réponse c'est : « En réalité quand tu as le dessein de faire de toi un éveillé, tu te dépouilles, donc ce n'est plus toi déjà. »

F C : Oui, c'est là que je situerai le moment de la médiation.

Y O : Oui et, et aussi, en début de séance François, tu as parlé du moment où des nuages surgissement brusquement dans le ciel : on ne peut pas dire à quel moment ça surgit.

► Il y a le surgissement des nuages, et il y a le surgissement de l'éveil.

Y O : Oui. Maintenant il faut avancer et si on ne finit pas la métaphore du polissage de la tuile qui est absolument fondamentale, on le fera la prochaine fois.

 

Paragraphe 5

Sachez-le, le mot de Daijaku veut dire que la méditation assise consiste toujours à avoir le dessein de faire de soi un éveillé et qu’elle est toujours le dessin d’un éveillé à faire. Le dessin (dessein) doit exister avant de faire de soi un éveillé, après avoir fait de soi un éveillé et à ce-juste-moment-tel-quel où on fait de soi un éveillé. Si l’on pose encore des questions, un seul dessin d’éveillé serait-il déjà entrelacé à combien d’autres dessins d’éveillé ? Cet entrelacement devrait être encore entrelacé à d’autres entrelacements. À ce moment-là, c’est un entrelacement juste de tous les dessins des éveillés qui s’avèrent justes et qui vont toujours tout droit à l’essentiel. N’évitez pas (de faire) un seul dessin (dessein). Quand on évite (de faire) un seul dessin (dessein), on perd et le corps et la vie. Quand on perd et le corps et la vie, c’est un seul dessin (dessein) entrelacé à lui-même.

Y O : Nanagaku et Baso parlent du passage du stade de sabutsu au stade supérieur de gyôbutsu que personne ne peut saisir. Donc le texte peut paraître insaisissable ! C'est ça le moment de la médiation : on ne peut pas définir : c'est ni l'un ni l'autre parce que c'est à la fois l'un et l'autre. Pour illustrer un peu ce passage-là j'ai inventé un petit épisode pour expliquer la différence entre sabutsu et gyôbutsu, ou la différence entre le dragon sculpté et le vrai dragon, ou aussi le passage du multiple à l'un. C'est une histoire un peu banale.

Suzanne est tombée amoureuse de Paul et elle veut être la femme de Paul, "la" femme de sa vie. Mais pour cela il faut d'abord qu'elle soit une femme parmi d'autres et ensuite, si les circonstances le permettent, elle peut devenir la femme de sa vie.

En français on peut travailler avec les articles indéfini et défini : "un", "la". Ils correspondent en quelque sorte au multiple et à l'un, je pense que c'est du même ordre.

Et les paragraphes suivants qui concernent la métaphore du polissage de la tuile, c'est exactement le même moment, celui de la médiation, donc nous sommes toujours dans la même sphère.

► Moi j'ai un problème avec la notion d'entrelacement.

Y O : C'est le terme kattô : c'est vraiment des lianes qui s'entrelacent. Et Françoise a dit tout à l'heure que c'est ce qu'elle expérimente quand elle fait le zazen.

F R : Pour moi ça pourrait rejoindre : Patrick est Patrick, et il y a l'éveillé de Patrick mais on ne sait pas à quel moment ça se fait. On est le mélange des deux, c'est ça ce que je ressens avec la notion d'entrelacement.

Y O : "Mélange" ce n'est pas joli comme mot, c'est plutôt l'unité de l'un et des multiples c'est-à-dire que la multitude des éveillés comme desseins (dessins) qui s'entrelacent, n'entrave nullement l'Éveillé qui est un. Au contraire ça ne fait qu'un comme la lune au milieu de l'eau.

► Justement je me demandais si, dans le fait de faire de soi un éveillé, il ne s'agit pas des multiples tentations de faire de soi un éveillé, et ça donne dix mille facettes à cet éveillé qu'on fabrique ?

Y O : Je crois que c'est ça. Autrement dit : ne pas se lasser, continuer. Je crois que c'est le plus important quand on fait la pratique : ne pas abandonner.

P F : Peut-être que ce que je vois là-dedans c'est l'intérêt de la pratique collective. Le dessein de faire de toi un éveillé (c'est ce qui se passe pendant que tu es assis) s'entrelace avec le projet du voisin et le projet de tous les autres. Finalement ça renforce ton propre dessein, il est pris dans quelque chose de beaucoup plus solide du fait que les autres sont là avec un dessein similaire.

An : Ça revient à de l'interdépendance.

P F : On pourrait utiliser ce mot-là si Dominique ne nous avait pas déjà scié la branche du terme.

F M : Mais c'en est, de l'interdépendance.

P F : Il dit que quand on utilise le mot interdépendance il y a tromperie sur la marchandise, c'est-à-dire qu'on considère alors qu'il y a des entités qui existent et qui sont dépendantes les unes des autres, et ça c'est tout faux dans le bouddhisme. En fait ce qui existe est donné par le terme de "coproduction conditionnelle" : ce qui nous apparaît comme des entités est en réalité la forme qu'on projette sur des phénomènes, phénomènes qui se produisent tous en même temps, et se conditionnent les uns des autres. C'est donc le conditionnement de ces apparitions et non pas le conditionnement des existants eux-mêmes entre eux.

Ce qui me plaît dans l'entrelacement ici, c'est que c'est l'entrelacement de desseins, et dans dessein il y a projet, il y a action. Ce n'est pas l'entrelacement de corps, de bouddhéités séparées les unes des autres. C'est le dessein, donc le mouvement de quelqu'un vers quelque chose qui se joint à d'autres mouvements autour, tout ça s'entrelace au sens de la coproduction conditionnelle c'est-à-dire que mon dessein de sabutsu s'entrelace avec le dessein de sabutsudes autres.

deshimaru zazen

Y O : Je suis d'accord avec la première moitié de ce que tu as dit en donnant les paroles de Dominique. Mais là c'est une parenthèse, je ne peux pas le développer car ce n'est pas le sujet, mais il y a aussi l'immense paradoxe de cette interdépendance, c'est que justement il n'y a pas de dépendance. Mais il me faudrait une demi-heure pour expliquer ça. On y reviendra.

► J'ai une question : on a beaucoup utilisé le terme dessein dans le sens de l'intention, et on n'a pas beaucoup creusé la dimension de dessin au sens de dessiner. Je m'interroge un peu sur ce qui se dessine : c'est l'entrelacement ?

Y O : Oui, tout à fait. Et ça m'invite à écrire zasô 坐相 où za 坐c'est l'assise comme dans zazen 坐禅 et 相c'est l'aspect, donc zasô c'est l'aspect de l'assise. Pour les pratiquants c'est très important. Et je suis néophyte, je ne prétends pas connaître le niveau de la pratique du zazen, mais quand même, quand je vois les pratiquants assis, là c'est immédiat, je vois tout de suite à quel point telle ou telle personne est dans le zazen ou pas. Ça c'est l'aspect.

E. Olivier que Michel connaît bien disait à propos de Deshimaru – dont j'entends dire beaucoup de choses soit élogieuses, soit affectueuses, soit critiques – il disait que quand il n'avait que douze ans, il avait été frappé de la beauté de l'aspect de l'assise (zasô) de Deshimaru. J'ai vu des photos et effectivement je constate cela. [la photographie ci-contre est extraite du livre de Deshimaru Autobiographie d'un moine zen, éd Robert Laffont 1977]. Et zasô c'est au-delà des mots, c'est indicible, mais c'est la beauté de la pratique : la profondeur se manifeste.

La civilisation occidentale est très imprégnée par le dualisme entre l'apparence et l'essence (ou l'être) alors que justement l'apparence au sens le plus profond du terme est révélatrice de la profondeur. Dans le bouddhisme on voit ça.

 

Paragraphe 6

On commence à  lire le début du deuxième thème, à savoir la métaphore du polissage de la tuile. C'est vraiment magnifique.

Nangaku prit alors une tuile et se mit à la polir sur une pierre. Daijaku demanda finalement : « Maître, que faites-vous ? » Vraiment, qui ne verrait pas que c’est un polissage de tuile, et qui verrait que c’est un polissage de tuile ? Et pourtant, le polissage de tuile a ainsi suscité la question : « Que faites-vous ? » « Que faites-vous ? » est toujours le polissage de tuile. Bien que ce monde-ci diffère de l’autre monde, il doit exister l’enseignement essentiel selon lequel le polissage de tuile n’a jamais cessé. Soyez-en donc persuadés une fois pour toutes : non seulement votre point de vue n’est pas à déterminer comme le vôtre, mais il doit aussi exister l’enseignement essentiel à étudier dans les œuvres des dix mille domaines. Sachez-le, comme vous ne connaissez pas l’Éveillé ni ne le comprenez, tout en le voyant, vous ne connaissez ni l’eau ni la montagne, tout en les voyant. Il n’est pas conforme à l’étude de l’Éveillé de conclure trop vite que l’existant qui se présente devant vos yeux ne doit guère contenir le chemin (vers l’Éveil).

Y O : Au début Dôgen commente dans le sens où : quand vous faites zazen, que faites-vous ? Et dans son commentaire il donne les jalons de réflexion.

D M : On a le terme "polir", mais une tuile on n'arrivera jamais à la faire briller !

Y O : Justement. Merci d'exposer le point de vue du commun des mortels. Qu'est-ce qui brille vraiment ? Ce n'est pas le bling-bling comme pour le commun des mortels ou pour les oiseaux. Le bling-bling ce n'est pas le point de vue de l'Éveillé, il y a déjà quelques pistes de réflexion là.

M D : Pour moi ça devient d'une grande subtilité ce passage et le passage suivant, parce que d'évidence Dôgen nous dit : « Vous ne pouvez pas devenir des bouddhas » et en même temps il dit « Vous ne pouvez pas ne pas devenir du bouddha », et pour ce faire il faut pratiquer le polissage de la tuile, bien que dans le monde normal on ne polisse pas les tuiles mais dans la pratique de bouddha, on polit les tuiles. Et ce faisant il prend un peu a contrario l'utilisation usuelle de ce kôan. Ça donne l'impression que ce pauvre Baso se plante puisque l'autre lui dit « On ne peut pas faire d'une tuile un miroir ».

Y O : Mais ce que vous dites c'est ce qui a été dit avant. Toute la problématique est là. Et je vous donne juste la piste de réflexion pour la prochaine séance : qu'est-ce que la vraie brillance, la vraie transparence ? Justement il faut dépasser le point de vue du commun des mortels qui s'accroche au point de vue matériel des choses. Pour le commun des mortels ce qui brille c'est ce qu'on voit briller, alors que la véritable brillance telle qu'elle est comprise dans l'univers de l'Éveillé, ce n'est pas cela, c'est une brillance infiniment plus profonde, c'est une brillance disons immatérielle, essentielle, qui dépasse cette brillance matérielle. On peut dire la même chose à propos de la transparence parce que quand il y a le thème de la transparence dans le discours du zen (et en particulier chez maître Dôgen puisqu'on va voir le miroir dans le paragraphe suivant), il ne s'agit pas de la transparence matérielle, ça c'est le point de vue du commun des mortels. Le miroir, qu'est-ce que c'est finalement ? Il reflète mais il ne reflète que l'apparence alors que la véritable transparence, immatérielle, telle qu'on peut l'acquérir par le zen c'est la transparence qui fait voir chaque chose en tant que telle.

C'est pourquoi maître Dôgen dit à la fin de ce passage : « Sachez-le, comme vous ne connaissez pas l’Éveillé ni ne le comprenez, tout en le voyant, vous ne connaissez ni l’eau ni la montagne, tout en les voyant. Il n’est pas conforme à l’étude de l’Éveillé de conclure trop vite que l’existant qui se présente devant vos yeux ne doit guère contenir le chemin (vers l’Éveil). » L'éveil est partout, simplement vous êtes aveugles. Vous ne voyez pas parce que vous êtes accrochés à votre point de vue, vous êtes raccrochés à cette dimension matérielle et superficielle des choses.

► C'est pourquoi Dôgen disait : « Rendez clairs et limpides et vos yeux et vos oreilles » juste avant.

Y O : Oui. Avant de se quitter puisqu'il est l'heure, on prend dix minutes pour que chacun exprime ce qu'il attend, ce qu'il perçoit dans cette métaphore de polissage de tuiles. Très librement. Est-ce que pour vous c'est totalement abscons ou bien est-ce que vous percevez quelque chose ?

C M : Pour moi le polissage de tuile c'est d'abord une question au sujet de la pratique : est-ce qu'on a un but ou pas déjà, puisque polir une tuile pour en faire quelque chose, c'est par exemple qu'on fait zazen pour obtenir quelque chose. C'est un premier sens. En effet ça ressemble un peu à polir une tuile pour en faire un miroir !

Y O : C'est déjà une piste : qu'est-ce que vous faites quand vous faites le zazen ?

P F : À quoi ça rime ?

F M : Polir : pour moi ce qui compte c'est le polissage. Je ne suis pas sûr que la tuile compte beaucoup, on pourrait prendre beaucoup d'autres matières. Et ce qui est important c'est le polissage "vain" : la vanité du polissage.

Y O : Je suis d'accord, mais quand même je pense que ce n'est pas pour rien qu'il s'agit de la tuile en ce sens qu'elle ne brille pas.

F M : C'est ça, si c'était polir un miroir ou un métal, ce serait autre chose. Mais le polissage est vain et il n'a de valeur que parce qu'il est vain. S'il était orienté vers une efficacité dans le sens où nous l'entendons ordinairement, il n'aurait aucun intérêt.

Y O : Pour aider votre réflexion je dirais, comme François l'évoque : c'est ce Rien qui est capital dans le zen, ce Rien avec un R majuscule. C'est ce Rien qui est au centre et c'est capital. Sinon vous ne comprendrez pas le zazen.

F R : Moi ce qui m'est venu comme image, c'est quand je suis assise et que je regarde le mur[3] et qu'il me permet d'aller rencontrer quelque chose, ce mur est ma tuile, il me permet de me renvoyer à ce qui se passe intérieurement.

Y O : Oui. Et vous Florence ?

Fl : C'est peut-être le début de la non-dualité dans le sens que si la tuile devient un miroir, le reflet et l'objet sont presque identiques, c'est-à-dire qu'on est ni dans le reflet ni dans l'objet finalement. J'ai du mal à expliquer.

Y O : Je comprends, c'est très juste.

A G : Ce qui est étonnant c'est que cette histoire de polissage de tuiles, d'habitude, elle est présentée de façon totalement différente. Il y a d'abord la présentation avec le maître qui dit au disciple : « Qu'est-ce que tu fais ? » Et le disciple répond « Je médite pour devenir un bouddha » et le maître prend la tuile en signifiant quelque chose comme : « Ça ne sert à rien ce que tu fais » et le disciple s'éveille[4]. Mais ici, pas du tout. Dans la façon traditionnelle de voir c'est : « Tu ne transformeras jamais, toi, être individuel, en bouddha parce que personne ne "devient" un bouddha, il n'y a pas du "faire" pour cela ». Mais ça pourrait avoir tendance à avoir une interprétation naturaliste à savoir : « s'il n'y a plus besoin de faire quoi que ce soit puisque, hop, on est bouddha, il n'y a plus besoin de polir des tuiles, donc je me promène comme je veux. » Ici au contraire ce n'est plus la tuile qui compte, c'est le polissage, comme dans le poème du sixième patriarche où son condisciple disait : « Il faut épousseter le miroir » mais l'autre dit « Non, il n'y a pas de miroir, ce n'est pas ça qui compte. »[5]

Y O : Oui, c'est une bonne piste.

P M : Moi je vois dans le polissage de la tuile une action répétée et sans but qui peut paraître vaine à un observateur extérieur, comme la pratique de zazen.

D M : J'abonde dans ton sens. Ça paraît non seulement quelque chose de très répétitif, de quotidien, qu'on fait, on refait sans bien en voir le but, pas seulement à un observateur extérieur mais aussi à nous-mêmes. Moi je vois ça pour la prière. On a l'impression qu'on tourne en rond, que ça ne sert à rien, qu'on a fait des années pour rien. Mais non, le miroir est là, ça a été engendré par ces actions qui nous paraissent vaines et futiles et qui n'ont pas eu de succès, mais c'est qu'on a abandonné toute idée de succès.

Y O : On peut le comprendre aussi comme ça mais, à mon sens, c'est un peu superficiel. Ce qui est dit avec cette métaphore c'est quand même quelque chose de radical.

F C : Pour moi la phrase : « Il doit exister l'enseignement essentiel selon lequel le polissage depuis n'a jamais cessé » c'est le rapport de la foi et de la pratique. Il y a de la pratique sans foi, mais le fait d'entrer dans quelque chose qui existe déjà et qu'on continue, un flux auquel on prend part à un moment donné...

An : Pour moi dans cette histoire où on se demande s'il y a un miroir ou s'il n'y a pas de miroir, ce que j'entends c'est qu'il n'y a pas de tuile ni de polissage, ce sont des interprétations sur une connaissance qu'on a.

Y O : Je n'ai pas bien compris ce que vous dites.

An : Je ne suis pas sûr de bien comprendre moi-même. L'idée c'est que le polissage et la tuile c'est une interprétation, c'est basé sur des connaissances à partir de concepts : une tuile, un polissage.

Y O : Je ne crois pas trop. C'est vraiment la pratique.

M D : Moi j'aime ce qu'a dit Aurélien, cette sorte de détournement de la façon dont ce kôan a pu être considéré avant maître Dôgen. Et en fait ce qu'il nous dit là c'est que la pratique de bouddha c'est de polir la tuile. On pratique la Voie de bouddha qui est de polir la tuile. Évidemment il y a un moment où il n'y a plus de dessein, où le but est complètement lâché mais on continue à polir la tuile.

F A : Pour moi c'est lié à la pratique. Sans commentaire pour le moment.

Y O : Et toi Patrick ?

P F : On verra ça la prochaine fois.

 

Introduction à "L'atelier", nature morte de Giacometti

 

Juste avant de partir François Aubin nous a montré la reproduction de "L'atelier", une nature morte de Giacometti. Il s'agit de l'atelier du peintre, il y a un tabouret avec trois pommes dessus, deux sculptures avec leur socle, un escalier, une porte ouverte…

François a commencé à nous faire voir comment le lointain devient proche et le proche lointain : les choses sont à la fois à leur plan et aussi toutes sur le même plan. Pour le voir il faut d'abord opérer un renversement … À suivre.

Pour ne pas avoir de problème avec les droits d'auteur cette reproduction ne figure pas sur ce compte-rendu. Vous la trouvez sur le site :

http://ecritscrisdotcom.wordpress.com/2012/08/24/claude-roy-pour-l/dsc04689/

 



[1] Voir le compte-rendu de la séance précédente où il y a même un schéma.

[2] Voir un lien sur internet à la fin.

[3] Pendant zazen, dans le zen Sôtô, les pratiquants sont face au mur ; dans le zen Rinzaï ils tournent le dos au mur.

[4] « Un jour, Baso pratiquait zazen quelque part devant le dojo. Nangaku, qui passait par là, le voit et lui dit : "Hé, encore en train de faire zazen !? Mais dis-moi : as-tu un objet quand tu fais zazen ? As-tu un objet dans ta pratique ?" A cette époque on n’avait pas d’expression comme mushotoku, qui veut dire sans objet ou sans but. Baso répond : "Oui, c’est pour devenir bouddha." Nangaku ne dit rien, mais avisant une tuile à ses pieds, il la ramasse et commence à la frotter contre un gros rocher lisse. Il était en train de polir la tuile. "Maître, que fais-tu ?" demande Baso. « Je fais un miroir. » À présent, Baso ne fait plus du tout zazen. Fixant son maître, il lui dit : "Comment peux-tu faire d’une tuile un miroir, simplement en la polissant ?" Nangaku réplique alors : "Et toi, comment peux-tu devenir bouddha en faisant zazen ?" » (P. Coupey raconte ce mondo entre Baso et son maître Nangaku. Cf http://zen-road.org/index.php?option=com_content&view=article&id=22&Itemid=22&lang=fr )

[5] Référence à l'histoire de succession de Konin, le cinquième patriarche du Chan qui décide de donner le shiho au disciple qui aura écrit le poème exprimant le mieux la véritable essence du zen. Le poème de Jinshu : « Le corps est l’arbre de la bodhi / L'esprit est un clair miroir / Qu'il faut sans cesse épousseter / Pour empêcher la poussière de s’y déposer », sur quoi Enô composa un poème qu'il demanda à quelqu'un d'autre de copier car il ne savait pas écrire : « La bodhi n'est pas un arbre  / Il n’y a pas de miroir / Originellement il n'y a rien / Où la poussière pourrait-elle se déposer ? » Cela lui valut d'être reconnu par Konin comme son successeur. Konin transmit son kesa et son bol à Enô. Ces poèmes furent à l’origine de la séparation du zen en deux écoles.

 

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