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Ateliers d'étude du Shôbôgenzô avec Yoko Orimo
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Ateliers d'étude du Shôbôgenzô avec Yoko Orimo
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7 juin 2013

Peindre le printemps ; "Les souliers" de VanGogh

Pour lire, télécharger, imprimer, c'est ici en fichier docx : peindre_le_printemps ;

ou en fichier pdf : peindre_le_printemps.

 

Peindre le printemps ; "Les souliers" de Van Gogh

 

Extrait du compte-rendu de Hatsu.u 鉢盂 (le Bol à aumônes)

Atelier du 2 février 2013.

 

Présentation :

"Peindre le printemps" : ceci est le début d'une citation du texte Baïka du Shôbôgenzô de maître Dôgen.

"Les souliers" de Van Gogh : il s'agit d'un tableau analysé par Heidegger.

Vous trouvez ci-après un extrait de l'atelier de lecture consacré au texte Hatsu.u du Shôbôgenzô pendant lequel cette citation a été donnée, et cette analyse du  tableau évoquée. En effet depuis Octobre 2012 des ateliers animés par Yoko Orimo qui est spécialiste du Shôbôgenzô sont organisés par le Dojo Zen de Paris et l'Institut d'études Bouddhiques.

J'ai laissé en première partie le contexte. On voit tout de suite que Yoko Orimo fait allusion à une conversation qu'elle a eue quelques jours auparavant avec Michel Bitbol[1] où ils ont parlé d'un texte de Heidegger : L'origine de l'œuvre d'art qui est mis partiellement en annexe à la fin de ce message.

Si vous trouvez difficile de rentrez dans la première partie (ce dialogue a eu lieu au bout d'une heure de séance), vous pouvez aller directement à la deuxième partie "Peindre le printemps".

                                                                                                       Christiane Marmèche

 

1°) Dialogue à partir d'un paragraphe de Hatsu.u

 « Cependant, les expressions varient chez chacun de ceux qui étudient les éveillés et les patriarches avec la peau, la chair, les os et la moelle ainsi qu’avec le poing et la prunelle de l’Œil.

Je veux dire que, ou bien il en y a qui étudient, tenant le bol à aumônes pour le corps et le cœur des éveillés et des patriarches. Ou bien, il y en a qui étudient, tenant le bol à aumônes pour le bol de riz des éveillés et des patriarches. Ou bien, il y en a qui étudient, tenant le bol à aumônes pour la prunelle de l’Œil des éveillés et des patriarches. Ou bien, il y en a qui étudient, tenant le bol à aumônes pour la claire Lumière des éveillés et des patriarches. Ou bien, il y en a qui étudient, tenant le bol à aumônes pour le vrai corps des éveillés et des patriarches. Ou bien, il y en a qui étudient, tenant le bol à aumônes pour la vraie Loi, Trésor de l’Œil, le cœur sublime du Nirvâna des éveillés et des patriarches. Ou bien, il y en a qui étudient, tenant le bol à aumônes pour l’endroit où se libère le corps des éveillés et des patriarches. Ou bien, il y en a qui étudient, tenant les éveillés et les patriarches pour le bord et le fond du bol à aumônes.

Bien que l’enseignement essentiel de chacune des études de ces gens-là puisse prendre part à la parole obtenue, il existe encore l’étude allant au-delà. » (Hatsu.u)

Yoko Orimo : Dans ce paragraphe il y a quelque chose qui rejoint ce que tu as signalé, Michel, quand tu parlais de Heidegger l'autre jour. Je dis d'abord un mot pour susciter ta réflexion.

Le bol à aumônes est un objet extrêmement important pour la transmission juste. Mais déjà, même s'il ne s'agit pas d'un objet précieux comme l'est le bol à aumônes pour les bhikkhu (les moines-mendiants), on ne saurait jamais décrire un objet (par exemple un morceau de sucre ou ce stylo qui est là) en répétant une multitude de détails très précis (par exemple pour ce stylo on dira ou bien qu'il est long, ou bien qu'il écrit, ou bien qu'il a été fabriqué à tel ou tel endroit...), à plus forte raison s'il s'agit du bol à aumônes qui est un précieux objet de la transmission juste, et à plus forte raison s'il s'agit d'un être humain, d'une personne. Par exemple pour décrire Patrick on peut dire ou bien qu'il est un homme, ou bien qu'il a tel et tel diplôme… Philosophiquement parlant ça s'appelle la totalité non-catégorisable.

Michel Bitbol : Ce que tu as dit sur Patrick est intéressant. En même temps, la tendance actuelle de la philosophie occidentale ce serait de chercher l'essence de Patrick, car Patrick n'est pas seulement tous ces accidents (il n'est pas seulement un être humain français, un homme avec tel diplôme…). Il a une essence, quelque chose qui lui est absolument propre, unique, qui le distingue de tout le reste et qui, en fait, contient tout le reste. C'est son fondement, son essence. Mais justement dans le bouddhisme il n'est pas du tout question de cela. Ce qui va au-delà de toutes les caractérisations de Patrick, ce n'est pas une essence, quelque chose de plus profond que toutes les caractérisations extérieures, c'est la momentanéité de sa présence, c'est cet éclat qu'on aperçoit immédiatement quand on le voit et qui fait qu'il ne ressemble à aucun autre. Je pense qu'il y a aussi ça.

Y O : Maître Dôgen répond un peu autrement mais les deux ne se contredisent pas.

F M : Est-ce une momentanéité ou une singularité ? Parce que dans le bouddhisme, je pense, il n'y a de présence (de croisement de dharmas comme ils disent) que pour un événement parfaitement singulier.

Y O : Oui… Marianne vous vouliez dire quelque chose ?

Ma : Oui. J'ai sans doute mal compris, mais je pense qu'en fait, d'après le bouddhisme, tous les êtres ont la nature de bouddha, et sont bouddhas, et donc aussi bien ce feutre que Patrick, que les éveillés et les patriarches… que le bol ou toute chose. Tout être est bouddha.

Y O : Oui, mais je pense que les deux (ce que Michel dit et ce que vous dites) ne se contredisent pas, que les deux sont compatibles.

M B : Ici le bol revient sans cesse. On peut considérer simplement ce bol, la perception qu'on a de ce bol, la singularité extraordinaire de la présence de ce bol, et à travers cette simple perception, ça suffit à faire disparaître la distinction habituelle entre le percevant et le perçu, et atteindre ainsi le moment de l'éveil à travers la simple appréhension de la singularité de ce bol.

P F : Ce serait ce que veut dire Marianne en se plaçant du point de vue de celui qui reçoit l'image de l'autre. Par exemple celui qui reçoit l'image du feutre peut se dire : « Tiens, ce feutre a la capacité à m'éveiller moi comme si c'était bouddha que j'avais en face de moi. Il a la puissance de bouddha dans la réception que j'en ai. »

M B : En tout cas je ne sais pas s'il est bouddha, mais il est bouddhéisant.

 

2°) Peindre le printemps; "Les souliers" de Van Gogh

 

Y O : Je voudrais donner la parole à maître Dôgen puisque, selon lui, il y a l'étude qui va au-delà de ça. Et si je ne me trompe, chez lui, cela concerne vraiment la poésie et l'art. C'est-à-dire que la poésie dit d'un seul mot, d'emblée, cette nature de bouddha qui est en chacun peut-être singulièrement et momentanément.

On va lire un passage de Baika 梅華(Fleurs de prunier)[2]. C'est un passage que je ne me lasse jamais de méditer, que je cite très souvent. Même maître Dôgen le dit essentiel.

« Pour peindre le printemps, il ne faut pas peindre les saules, les pruniers rouges, les pêchers, les pruniers verts. Peignez juste le printemps. Peindre les saules, les pruniers rouges, les pêchers et les pruniers verts, ce n'est que peindre les saules, les pruniers rouges, les pêchers et les pruniers verts, ce n'est pas encore peindre le printemps. Le printemps n'est pas à ne pas peindre et pourtant hormis mon ancien maître, ancien éveillé, entre le ciel de l'Ouest et la terre de l'Est, nul n'a su peindre le printemps. Seul mon ancien maître, ancien éveillé, est la pointe du pinceau capable de peindre le printemps. »

C'est-à-dire que le métier (au sens noble du terme) de peintre ou de poète, c'est de peindre le printemps et non pas des détails, c'est de peindre la totalité d'emblée. Et :

1°) par exemple dans le portrait d'une jeune fille peint par Vermeer, celle-ci est infiniment plus présente, infiniment plus réelle sans doute que la jeune fille existante ;

2°) il y a un rapport intrinsèque entre l'art (la poésie aussi) et le bouddhisme (notamment le zen). Pour la pensée zen l'art n'est jamais une chose décorative. Ce n'est pas la question simplement de la beauté, mais il y a le fond conceptuel extrêmement profond. C'est là-dessus sans doute que maître Dôgen rejoint Heidegger.

M B : Tu fais allusion à ce dont on a parlé l'autre jour : l'analyse de l'œuvre d'art que fait Heidegger. Il s'agit d'un texte très connu dans lequel Heidegger décrit le tableau des souliers de Van Gogh[3]. Il écrit que la différence entre des souliers réels et les souliers de Van Gogh c'est que les souliers réels ce sont des chaussures à utiliser c'est-à-dire des "étants", des objets manipulables, utilisables, alors que le tableau des souliers de Van Gogh manifeste l'être du soulier, il manifeste qu' « il est » et non pas qu'il peut s'utiliser, il manifeste simplement l'éclat de son être.

Y O : Ça rejoint un peu ce que Marianne a souligné tout à l'heure, la nature de bouddha si c'est dans un contexte bouddhique… l'éveil.

 

Annexe[4] : L'analyse de Heidegger.

« Mais quel est le chemin qui conduit à ce qu’il y a de proprement produit dans le produit ? Comment expéri­menter ce qu’est le produit en vérité ? La démarche maintenant nécessaire doit se tenir à l’écart des tenta­tives proposant tout aussitôt les diverses anticipations des interprétations courantes. Nous nous en assurerons au mieux en décrivant tout simplement, sans aucune théorie philosophique, un produit.

  Comme exemple, prenons un produit connu : une paire de souliers de paysan. Pour les décrire, point n’est besoin de les avoir sous les yeux. Tout le monde en con­naît. Mais comme il y va d’une description directe, il peut sembler bon de faciliter la vision sensible. Il suffit pour cela d’une illustration. Nous choisissons à cet effet un célèbre tableau de Van Gogh, qui a souvent peint de telles chaussures. Mais qu’y a-t-il là à voir ? Chacun sait de quoi se compose un soulier. S’il ne s’agit pas de sabot ou de chaussures de filasse, il s’y trouve une semelle de cuir et une empeigne, assemblées l’une à l’autre par des clous et de la couture. Un tel produit sert à chausser le pied. Matière et forme varient suivant l’usage, soit pour le travail aux champs, soit pour la danse.

Ces précisions ne font qu’exposer ce que nous savons déjà. L’être-produit du produit réside en son utilité. Mais qu’en est-il de cette dernière ? Saisissons-nous déjà, avec elle, ce qu’il y a de proprement produit dans le produit ? Ne devons-nous pas, pour y arriver, consi­dérer lors de son service le produit servant à quelque chose ? C’est la paysanne aux champs qui porte les sou­liers. Là seulement ils sont ce qu’ils sont. Ils le sont d’une manière d’autant plus franche que la paysanne, durant son travail, y pense moins, ne les regardant point et ne les sentant même pas. Elle est debout et elle marche avec ces souliers. Voilà comment les souliers servent réellement. Au long du processus de l’usage du produit, le côté véritablement produit du produit doit réellement venir à notre rencontre.

  Par contre, tant que nous nous contenterons de nous représenter une paire de souliers « comme ça », « en général », tant que nous nous contenterons de regarder sur un tableau de simples souliers vides, qui sont là sans être utilisés – nous n’apprendrons jamais ce qu’est en vérité l’être-produit du produit. D’après la toile de Van Gogh, nous ne pouvons même pas établir où se trouvent ces souliers. Autour de cette paire de souliers de paysan, il n’y a rigoureusement rien où ils puissent prendre place : rien qu’un espace vague. Même pas une motte de terre provenant du champ ou du sentier, ce qui pourrait au moins indiquer leur usage. Une paire de souliers de paysan, et rien de plus. Et pourtant…

Van Gogh souliers

Dans l’obscure intimité du creux de la chaussure est inscrite la fatigue des pas du labeur. Dans la rude et solide pesanteur du soulier est affermie la lente et opi­niâtre foulée à travers champs, le long des sillons tou­jours semblables, s’étendant au loin sous la bise. Le cuir est marqué par la terre grasse et humide. Par-dessous les semelles s’étend la solitude du chemin de campagne qui se perd dans le soir. À travers ces chaussures passe l’appel silencieux de la terre, son don tacite du grain mûrissant, son secret refus d’elle-même dans l’aride jachère du champ hivernal. À travers ce produit repasse la muette inquiétude pour la sûreté du pain, la joie silen­cieuse de survivre à nouveau au besoin, l’angoisse de la naissance imminente, le frémissement sous la mort qui menace. Ce produit appartient à la terre, et il est à l’abri dans le monde de la paysanne. Au sein de cette apparte­nance protégée, le produit repose en lui-même.

 Tout cela, peut-être que nous ne le lisons que sur les souliers du tableau. La paysanne, par contre, porte tout simplement les souliers. Mais ce « tout simplement » est-il si simple ? Quand, tard au soir, la paysanne bien fatiguée, met de côté ses chaussures ; quand chaque matin à l’aube elle les cherche, ou quand, au jour de repos, elle passe à côté d’elles, elle sait tout cela, sans qu’elle ait besoin d’observer ou de considérer quoi que ce soit. L’être-produit du produit réside bien en son uti­lité. Mais celle-ci à son tour repose dans la plénitude d’un être essentiel du produit. Nous l’appelons la soli­dité (die Verlässlichkeit*). Grâce à elle, la paysanne est confiée par ce produit à l’appel silencieux de la terre ; grâce au sol qu’offre le produit, à sa solidité, elle est soudée à son monde. Pour elle, et pour ceux qui sont avec elle comme elle, monde et terre ne sont là qu’ainsi : dans le produit. Nous disons « ne… que », mais ici la res­triction a tort. Car c’est seulement la solidité du produit qui donne à ce monde si simple une stabilité bien à lui, en ne s’opposant pas à l’afflux permanent de la terre.

L’être-produit du produit, sa solidité, rassemble toutes les choses en soi, selon le mode et l’étendue de chacune. L’utilité du produit n’est cependant que la conséquence d’essence de sa solidité. Celle-là vibre en cel­le-ci, et ne serait rien sans elle. Le produit particulier s’use et s’épuise, mais en même temps l’usage lui-même tombe dans l’usure, s’émousse et devient quelconque. L’être-produit lui-même parvient à la désolation, et tombe au niveau du simple « produit quelconque ». Cette désolation de l’être-produit, c’est le dépérissement de sa solidité. Mais le dépérissement comme tel, auquel les choses de l’usage doivent leur banalité ennuyeuse et importune, n’est qu’un témoignage de plus en faveur de l’essence originelle de l’être-produit. La banalité usée des produits arrive alors à se faire valoir comme l’unique et exclusif mode d’être propre au produit. On n’aperçoit plus que l’utilité toute nue. Elle fait croire que l’origine du produit réside dans sa simple fabrication, laquelle impose à une matière une forme. Et pourtant, en son authentique être-produit, le produit vient de plus loin. La matière et la forme, ainsi que la distinction des deux, remontent elles-mêmes à une origine plus loin­taine.

Le repos du produit reposant en lui-même réside en sa solidité. C’est elle qui nous révèle ce qu’est en vérité le produit. Cependant, nous ne savons toujours rien au sujet de ce que nous cherchions tout d’abord : ce qu’il y a de proprement chose dans la chose ; nous en savons encore moins sur ce que seul et expressément nous cher­chons : ce qu’il y a de proprement œuvre dans l’œuvre, au sens d’œuvre d’art.

 Ou bien, serait-ce que nous aurions déjà, sans nous en apercevoir et pour ainsi dire en passant, appris quelque chose sur l’essence de l’œuvre ?

L’être-produit du produit a été trouvé. Mais de quelle manière ? Non pas au moyen de la description ou de l’explication d’une paire de chaussures réellement présentes ; non pas par un rapport sur le processus de fabrication des souliers ; non pas par l’observation de la manière dont, ici et là, on utilise réellement des chaus­sures. Nous n’avons rien fait que nous mettre en présence du tableau de Van Gogh. C’est lui qui a parlé. La proximité de l’œuvre nous a soudain transporté ailleurs que là où nous avons coutume d’être.

L’œuvre d’art nous a fait savoir ce qu’est en vérité la paire de souliers. Ce serait la pire des illusions que de croire que c’est notre description, en tant qu’activité subjective, qui a tout dépeint ainsi pour l’introduire ensuite dans le tableau. Si quelque chose doit ici faire question, c’est que nous n’ayons appris que trop peu à proximité de l’œuvre, et que nous ne l’ayons énoncé que trop grossièrement et trop immédiatement. Mais avant tout, l’œuvre n’a nullement servi, comme il pourrait sembler d’abord, à mieux illustrer ce qu’est un produit. C’est bien plus l’être-produit du produit qui arrive, seu­lement par l’œuvre et seulement dans l’œuvre, à son pa­raître.  

Que se passe-t-il ici ? Qu’est-ce qui est à l’œuvre dans l’œuvre ? La toile de Van Gogh est l’ouverture de ce que le produit, la paire de souliers de paysan, est en vérité. 

Cet étant fait apparition dans l’éclosion de son être. L’éclosion de l’étant, les Grecs la nommaient aletheïa.[5] Nous autres, nous disons vérité, en ne pensant surtout pas trop ce mot. Dans l’œuvre, s’il y advient une ouver­ture de l’étant (concernant ce qu’il est et comment il est), c’est l’avènement de la vérité qui est à l’œuvre. 

Dans l’œuvre d’art, la vérité de l’étant s’est mise en œuvre. « Mettre » signifie ici : instituer*. Un étant, une paire de souliers de paysan vient dans l’œuvre à l’instance dans le clair (das Lichte) de son être. L’être de l’étant vient à la constance de son rayon­nement.  

L’essence de l’art serait donc : le se mettre en œuvre de la vérité de l’étant. Mais l’art n’avait-il pas affaire jusqu’à présent au Beau et à la Beauté plutôt qu’à la Vérité ? Par opposition aux arts artisanaux qui fabri­quent des produits, les arts qui produisent des œuvres sont appelés les beaux-arts. Mais dans les beaux-arts, ce n’est pas l’art qui est beau ; on les appelle ainsi parce qu’ils créent le Beau. La Vérité, par contre, est du domaine de la Logique, le Beau étant réservé à l’Esthétique.  

Ou bien le propos : l’art est la mise en œuvre de la vérité, signifierait-il une renaissance de l’opinion heu­reusement dépassée selon laquelle l’art serait une imitation et une copie du réel ? La reproduction du réellement donné exige, en effet, la conformité avec l’étant, la prise de mesure sur celui-ci, adaequatio, disait-on au Moyen Âge, et homoïosis disait déjà Aristote. Depuis longtemps, la conformité avec l’étant est considérée comme l’essence de la vérité. Mais croyons-nous vrai­ment que le tableau de Van Gogh copie une paire donnée de souliers de paysan, et que ce soit une œuvre parce qu’il y a réussi ? Voulons-nous dire que le tableau a pris copie du réel et qu’il en a fait un produit de la pro­duction artistique ? Nullement. C'est donc qu'il s'agit dans l'œuvre non pas de la reproduction de l'étant particulier qu'on ajustement sous les yeux, mais plutôt de la restitution en elle d'une commune présence des choses. »



[1] Michel Bitbol est chercheur en philosophie des sciences. Il est directeur de recherche au CNRS au centre de recherche en épistémologie appliquée de l'École polytechnique, dont il est le directeur adjoint. Il a écrit un article dans le tome 5 de la Traduction intégrale du Shôbôgenzô : "La théorie quantique et la surface des choses" p. 344-362 et a participé à plusieurs ateliers du Shôbôgenzô. Son site : http://michel.bitbol.pagesperso-orange.fr/

[2] Dans le tome 2 de la Traduction intégrale.

[3] Vincent Van Gogh, "Les souliers aux lacets", 1886. Van Gogh Museum, Amsterdam.

[4] Heidegger, L’origine de l’œuvre d’art, in Les Chemins qui ne mènent nulle part, 1936, Trad. Wolfgang Brokmeier, Gallimard, coll. Tel. p.32-38.

[5] Alethéïa est classiquement traduit par "vérité". Heidegger a recours à l'étymologie de a-léthéïa, et donne à a-letheïa la signification de « dévoilement »

 

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