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Ateliers d'étude du Shôbôgenzô avec Yoko Orimo
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Ateliers d'étude du Shôbôgenzô avec Yoko Orimo
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12 février 2015

Exposé du peintre Barbâtre sur quelques peintures de l'exposition "Le Japon au fil des saisons" au Musée Cernuschi

Le 2 février 2015, après la lecture de Hotsumujôshin (le déploiement du cœur sans au-delà), un des textes du Shôbôgenzô de maître Dôgen, Barbâtre (François Aubin) a fait un exposé sur quelques peintures de l'exposition qui venait d'avoir lieu au musée Cernuschi[1]. C'était lors de l'atelier animé par Yoko Orimo à l'Institut d'Études Bouddhiques à Paris, nous étions une douzaine de participants. Barbâtre a souvent pointé son doigt sur une partie de peinture, et j'ai essayé comme je pouvais de décrire l'endroit entre crochets. Pour la transcription il m'a apporté des précisions sur l'orthographe du fameux "Font sans fond", j'ai intégré son explication.

Pour développer quelques points clés, des extraits d'entretiens de Barbâtre avec d'autres personnes (qui figurent sur internet[2]) ont été mis en note ; et après l'exposé figure une intervention de Barbâtre faite lors de la séance du 3 février 2014 à propos de peintures américaines et chinoises contemporaines.

La liste des peintures commentées se trouve tout à la fin avec des indications sur les peintres ou sur les peintures.

Barbâtre lui-même a fait une exposition en mai-juin 2015 et il y a des échos de son propre travail de peintre : Exposition Tsuki (La lune ou la réflexion) de Barbâtre à la Fabrique du Pont d'Aleyrac.

                                                                                               Christiane Marmèche

 

 

Le Japon au fil des saisons au Musée Cernuschi

Exposé du peintre Barbâtre

 

Extrait de la dernière séance sur Hotsumujôshin du 02/02/2015

 

Je vais vous montrer quelques reproductions de tableaux qui ont été exposés récemment au musée Cernuschi. Vous êtes plusieurs à avoir vu cette exposition. C'était une énorme exposition, avec des textes, dont la préface de Jean-Noël Robert qui n'expliquait rien moins que comment l'inanimé enseigne la Loi, ce qui est vraiment très complexe !

Ce qui était passionnant pour un peintre, c'était une collection privée américaine qui montrait des tableaux un peu spécifiques d'un moment donné de la peinture japonaise. Il s'agit du moment où, avec l'ère Meiji, le Japon s'ouvre aux influences occidentales. Déjà auparavant, par le port de Nagasaki des artistes chinois étaient venus et avaient apporté des choses tout à fait nouvelles, notamment des peintures réalistes.

Ce n'est pas le côté symbolique de l'exposition qui, moi, m'a intéressé. Ce dont je voudrais vous parler a rapport avec ce que nous avons lu tout à l'heure : même si la mer est asséchée, le fond existe toujours[3].

 

1) Un peu d'histoire.

a) Le contexte historique de la peinture au Japon.

Ce que je vais vous dire est très schématique mais c'est ce qui m'a frappé. Quand l'Occident arrive au Japon par Nagasaki, il y a énormément de manuels d'histoire naturelle qui sont importés, d'abord par les Hollandais. Or les planches de botanique ne sont pas de jolies fleurs, ce sont des dissections de fleurs, ce sont des fleurs desséchées.

Je voulais vous montrer une planche de botanique et je suis allé au muséum d'histoire naturelle. Mais il n'y a plus de cartes postales, il n'y a plus que des photos couleurs. Je pense que vous avez en tête ces images de plantes avec la graine. C'est ça qui est arrivé au Japon. Pour les Japonais cela a été une énorme surprise : on pouvait donner l'idée d'une fleur alors qu'elle n'était pas dans un contexte donné, alors qu'elle ne faisait appel à rien, qu'elle ne racontait rien, qu'elle n'était pas symbolique, qu'elle était simplement en elle-même ! Pour les peintres ça été un choc énorme.

En même temps il y a eu l'arrivée des peintures chinoises qui amenaient du naturalisme.

L'ensemble de ces deux courants a amené les peintres japonais à modifier quelque chose.

b) Le chou-fleur de Raymond Mason.

Comme je n'avais pas de planche d'histoire naturelle, je me suis permis de vous apporter une chose qui est contemporaine et d'ailleurs c'est pour cela qu'elle est intéressante. C'est une aquarelle représentant un chou-fleur peint par Raymond Mason, d'origine anglaise qui est mort il y a quelques années et que j'ai bien connu. Il était peintre et sculpteur et il a fait des aquarelles de légumes entre autres. La caractéristique c'est que c'est une étude documentaire sans profondeur et sans fond. Autrement dit le légume est étudié pour lui-même et c'est un peu l'histoire des planches de botanique.

Ce que je trouve intéressant c'est que ça perdure dans notre culture actuellement puisqu'il y a encore des peintres et des sculpteurs qui font ça, notamment Raymond Mason qui a eu sa rétrospective au centre Pompidou, et l'ami intime de Francis Bacon et d'autres[4].

 

Barbâtre, 02-02-2015, Institut d'Etudes Bouddhiques 1

 

2) Premières peintures japonaises de l'exposition.

a) Fleurs et oiseaux des 4 saisons, Nabayashi Chikutô.

Fleurs et oiseaux, Paon et pivoines, Aigrettes et martin-pêcheur

 

 

Donc qu'est-ce qui arrive au Japon ? De nombreux peintres, en fonction de ce qu'ils ont vu, commencent à faire des fleurs avec des animaux selon la mode chinoise, donc des assemblages, sans s'occuper du fond : le fond ne participe pas de la création.

Par exemple si on regarde cette reproduction de Nabayashi Chikutô, on voit que les choses s'imbriquent les unes par rapport aux autres : vous avez deux oiseaux, un rocher avec des découpages, des fleurs disposées à droite et à gauche. C'est comme un découpage collé sur un fond, c'est-à-dire que le fond ne participe pas de la création.

b) Paon et Pivoines de Maruyama Ökyo.

La majeure partie des peintures qui étaient montrées dans cette exposition étaient de cet ordre-là, c'est-à-dire des choses absolument habiles et tout à fait magnifiques. Il y avait par exemple cette peinture avec un paon et des pivoines qui est d'une virtuosité et d'une beauté surprenante, en particulier la façon dont les plumes du paon sont déployées. C'est un tableau qui fait 1 m 35 de haut et l'ensemble est très lumineux. Le peintre décore le rocher sur lequel le paon est déployé, ça a un sens symbolique très précis, il le décore aussi avec des fleurs qui ne participent à rien. C'est-à-dire que toute la partie en haut à droite qui est découpée par le rocher et les fleurs, et qui descend jusqu'en bas, est littéralement morte.

c) Aigrettes et martin-pêcheur parmi les lotus, Okamoto Shūki.

Voici encore un tableau. Il fait partie du courant qui est advenu après la rencontre avec les planches de botanique. Je trouve cela superbe mais je pense que profondément ça n'apporte pas grand-chose.

 

3) Bambous dans la tourmente, Ike no Taiga.

Dans l'exposition il y avait aussi des choses très intéressantes qui datent de la même époque, notamment cette superbe peinture de bambous de Ike no Taiga, elle est peinte sur papier et fait 1 m 30 de haut. Ce n'était pas un moine zen, mais il avait beaucoup fréquenté le monde du zen. On sait l'amour des japonais pour le papier et comment avec leurs papiers ils arrivent à atteindre l'excellence.

Bambou dans la tourmente, Ike no Taiga petit

Cette peinture est assez unique dans la mesure où presque toujours les bambous sont associés à des rochers, à quelques plantes. Là ils sont tous seuls. Ça signifie que c'est une image du lettré qui « ploie mais ne rompt pas ». Il y a un sens symbolique.

À la différence de ce qu'on a vu dans les peintures précédentes, du point de vue pictural, ce qui est tout à fait passionnant, c'est qu'on a l'arc du grand bambou qui part du bas très fort avec une densité étonnante, mais aussi qui est sans volume.

Quelqu'un, une fois, a demandé à Cézanne ce qu'il conseillerait à un jeune peintre, et il lui a dit de dessiner un tuyau de poêle. C'est la question de : comment peindre un volume circulaire sans faire intervenir une lumière avec l'ombre qui va donner l'arrondi. Autrement dit : comment va-t-on donner un volume sans éclairage ?[5]

Quelque chose advient à partir du Font sans fond.

Dans cette peinture du bambou il n'y a pas d'éclairage. C'est là cette fameuse mer sans fond qui fait advenir le bambou. Et il fait advenir le bambou par des vides, ce n'est pas la lumière. En effet regardons cette partie [le tiers de la branche principale qui se trouve au milieu]  où il donne de la force : dans les noirs il y a des parties creusées qui ne sont pas des trous. C'est la même partie que la lumière blanche qui est le Font sans fond.

Et ce qu'il y a de très étonnant dans cette peinture, c'est qu'ici [dans ce qui constitue le fond de la peinture] il y a des dégradés, des nuances extrêmement subtiles d'un bleu très pâle qu'on ne devine pas, et qui en fait anime profondément l'ensemble, qui génère l'ensemble de cette peinture. C'est un mariage extrêmement fortiche, parce que c'est très puissant mais en même temps il y a continuellement des vides, ce qui fait que ça respire et ça advient.

Dans cette feuille [la feuille à gauche au-dessus de la branche du bas], il y a toute une partie de blanc qui fait le tour et qui n'est pas peinte. Et ici [la partie du milieu de la peinture considérée sur toute sa largeur], tout ce qui est peint, c'est avec une brosse assez large, c'est absolument subtil et impalpable, mais ça existe profondément. Il y a cette partie-là [vers le milieu de la grande branche], le fond n'est pas touché du tout, il fait corps avec la partie du bambou.

C M : Tu utilises l'expression de "fond sans fond" que François Jullien écrit "fonds sans fond". Comment l'écris-tu ?

Barbâtre : Je l'écris "Font sans fond" parce que le font c'est la source, la fontaine[6]. On trouve ce mot au pluriel dans l'expression des "fonts baptismaux".

Donc quelque chose advient à partir de ce Font sans fond[7]. Continuellement on a ce jeu. C'est d'autant plus extraordinaire que ça pourrait être plat.

Par exemple dans les deux peintures de la série "Fleurs et oiseaux des 4 saisons", ça descend de haut en bas et tout est dans un même plan. Alors qu'avec le bambou les choses fonctionnent avec ce Font sans fond et le peintre arrive à introduire ce bambou dans une certaine profondeur. Entre le bas du bambou et le haut il y a 1 m ou 1 m 50, il y a une mesure réelle, mais elle est dans quelque chose qui est sans mesure.

Cette peinture est de la même époque que les précédentes, et c'est ça qui est tout à fait étonnant, que dans le même moment où continue à peindre dans l'esprit du zen avec toujours cet arrière-plan du fond qui fait advenir les choses, on a aussi les peintures qu'on a vues au début.

Y O : Est-ce que c'est grâce à la petite tache de blanc, donc le vide, que ça advient ?

Barbâtre : Oui. Il y a une continuité mais il y a aussi des ruptures, et ça c'est très important. En effet le blanc qu'on voit est absolument pur, c'est le Font sans fond à l'état pur. Mais est-ce que ça existe ? En fait l'un ne peut pas exister sans l'autre[8].

En Occident on a spéculé là-dessus en disant : si on agrandissait ce blanc qui est le Font sans fond, à la dimension du tableau, on aurait la nature de bouddha, et il n'y aurait pas besoin de faire de peinture ou de représenter quelque chose. Donc cela a amené à des spéculations et ça continue, c'est une certaine peinture qui vient d'Amérique et qui est imbuvable[9].

Y O : Est-ce que cette petite touche blanche ne fonctionne pas un peu comme lumière ? Est-ce qu'elle ne fait pas advenir la profondeur…

Barbâtre : Oui, on peut dire que c'est la Lumière avec un L majuscule.

Parenthèse sur Matisse.

Ici vous avez une peinture qui n'est pas une peinture plate[10].

Y O : Moi j'aime beaucoup Matisse, mais c'est aussi un peu une peinture plate.

Barbâtre : Le cas de Matisse est un cas absolument passionnant. Il a été un grand admirateur de Cézanne et il a compris la révolution cézannienne. Il a donc dessiné beaucoup avec le plein, le vide, et il a trouvé comment ça fonctionnait, mais il y a un moment où il a perdu le fil, et il le dit dans une lettre à Bonnard. À ce moment-là il est complètement dérouté, il n'y arrive plus. C'est le moment où il commence à faire des papiers découpés, c'est donc du collage, il n'y a plus la profondeur[11]. Cela n'empêche pas qu'il est un grand peintre, et qu'il a fait des tableaux magnifiques. Cependant il y a eu un moment dans sa vie où il a perdu le fil.

Et c'est le problème de ce genre de peinture, c'est-à-dire qu'on perd le fil. En effet ce Font sans fond on arrive à être en relation avec lui, à être pris par lui, mais dès qu'on sait faire, c'est fini ! C'est ce dont on vient de parler avec le texte de maître Dôgen : tout ne tient qu'à un cheveu[12].

 

4) Lune claire par une nuit d’automne de Tani Bunchō.

Nous regardons maintenant une autre peinture qui nous concerne puisque le peintre qui l'a réalisé à explicitement dit que c'était une expérience de samadhi qu'il avait eue. C'est une grande peinture sur soie qui fait 1 m 70 de long sur 80 cm.

Ce peintre a raconté dans une lettre qu'un soir de mélancolie il se promenait sur le bord de la Sumida, une petite rivière, à l'automne. C'est la pleine lune, il est assez mélancolique, et un moment donné il a une extase, c'est-à-dire qu'il est touché par la lune. Il fait cette peinture huit jours après. Son projet est donc de nous faire comprendre et admettre qu'il a touché et été touché par la lune.

 

Lune claire par une nuit d’automne, Tani Buncho, 1817

Pour rendre possible le chemin par lequel on doit passer, il peint ceci : en bas à droite de la rivière est à peine montrée, il y a quelques vapeurs. Donc nous sommes au bord de la rivière. Il y a un bouquet de roseaux. Quand on regarde très attentivement, on voit qu'il y a tout un brouillage en bas des roseaux, c'est comme si c'était raté ou lavé, les choses ne sont pas distinctes. Mais, parmi cette indistinction, paraissent certaines branches qui sont au premier plan fortement marquées de noir. Là où se situe le peintre on voit le bouquet de roseaux à contre-jour[13] parce que la lune est pleine et donne le maximum de lumière.

Il y a beaucoup de peinture où la lune est au bord de l'eau, ou bien se reflétant dans l'eau parmi les buissons. Ici le peintre part de cette place au premier plan, et il y a une distance considérable entre ce premier plan et la lune. Et il fait advenir une branche dont les "valeurs" s'estompent au fur et à mesure, et se marient toujours avec le fond, pour arriver peu à peu à une petite branche et un semblant de feuille. Cette branche vient comme une main toucher la lune très délicatement. Et ce qui est extraordinaire c'est ce qui se passe au moment où la petite branche arrive sur la lune : elle se plie, elle ne touche pas la lune, il y a un vide, et la branche continue après une rupture. Et qu'est-ce qui prend le relais à ce moment-là ? C'est le contour de la lune qui fait le relais. Par la suite il arrête cette branche parce que l'important c'est au niveau du contact que ça se passe. Le peintre a eu le génie de montrer dans cette rupture qu'à ce moment-là c'est la lune qui le touche et non pas lui qui touche la lune.

J'ai beaucoup regardé cette peinture qui est très étonnante, à tel point que je ne me souviens plus de la couleur de la lune, je ne sais pas si c'est la couleur même de la soie ou s'il y a eu un rouleau de couleur.

Par ailleurs pendant tout un moment je me demandais à quoi pouvait correspondre le sceau rouge qui est marqué. En fait, derrière cette mélancolie qui est littéraire, le peintre a marqué une certaine joie par ce rouge. Ce n'est pas un sceau qui est violemment frappé, il est presque transparent. Il dit : « c'est moi, mais pas trop ! » Et on n'imagine pas la peinture sans ce rouge qui a un rôle extraordinaire.

Je suis allé deux fois voir cette exposition, et je suis resté longtemps devant cette peinture. On pouvait reculer jusqu'à une dizaine de mètres parce qu'il y avait une salle en face, donc on pouvait la voir de loin. C'est vraiment une très grande peinture, audacieuse puisqu'il y a ce cachet rouge. Mais il a mis très peu de rouge, juste ce qu'il faut pour suggérer que « c'est moi ». L'extase n'est pas mélancolique. Le sujet est mélancolique par tradition, mais pas la peinture.

Le poème lui-même n'est pas du tout conventionnel : « un soir que je me promenais au bord de la rivière, il m'est arrivé ceci que je voudrais montrer ». C'est donc une peinture réaliste. Elle n'est pas symbolique, elle est naturaliste. Et au travers de ce naturalisme, le peintre essaie de nous montrer comment la lune peut nous toucher, non pas dans la tête, mais vraiment dans la non-dualité.

N T : Est-ce que tu as une interprétation du fait que la lune n'est pas représentée entièrement ?

Barbâtre : C'est une question de place. Suppose qu'il la représente en entier, ce serait trop, elle prendrait trop de place par rapport à cette feuille qui arrive à son pied.

J D : Dans la peinture japonaise les motifs sont généralement tronqués c'est-à-dire que la suite se passe ailleurs.

Lien avec le Hannya Shingyô.

Barbâtre : Comme peintre la chose que je trouve la plus étonnante est celle-ci : qu'on fasse quelque chose de fort comme le bas du bambou, c'est facile, mais que ça puisse se marier avant autant de subtilité avec l'autre côté, ça c'est très difficile, puisqu'il faut que les deux fonctionnent ensemble. C'est SHIKI SOKU ZE KU, KU SOKU ZE SHIKI. On est au cœur de ça. Et l'Hannya Shingyô[14] est une illustration de ça.

Quand on regarde cette peinture, dans un premier temps on voit le bambou mais on ne voit pas le fond, c'est la photo qui nous le donne. En réalité c'est un bleu impalpable. Il existe bien, et c'est vraiment lui qui anime le tableau.

 

Pruniers, Oies sauvages, Oiseaux sous la neige

5) Trois autres peintures : pruniers, oies sauvages, oiseaux sous la neige.

Voici une autre peinture : "Pruniers en fleurs dans la brume et dans la neige" de Matsumura Goshun. Il s'agit d'une branche de prunier avec la lune, dans le brouillard. Du fait qu'on est dans le brouillard, pratiquement tout est dans le même plan. On voit une petite branche qui arrive à toucher la lune, mais c'est plat. C'est une peinture d'atmosphère. C'est une belle peinture mais elle reste une peinture conventionnelle.

Voici une autre peinture : "Oies sauvages sous la lune d'automne" de Kôno Bairei. Il y a un fragment de lune, et un bambou arrive à contre-jour sur la lune. Mais rien d'extraordinaire.

Voici "Oiseaux sur une branche sous la neige" de Ganku. C'est encore un paysage de neige, et la neige est le blanc du papier. Ça c'est un savoir-faire absolument vertigineux. Mais le ciel ne vibre pas, il est un peu mort. Il y a une virtuosité magnifique, mais ça n'a rien à voir avec ce que je vous ai montré par ailleurs.

 

 

Lotus en automne, Okuhara Seiko

6) Lotus en automne de Okuhara Seiko.

Voici une autre peinture sur papier faite par une femme en 1872. À l'époque il y avait autant de femmes que d'hommes qui peignaient, et souvent des femmes de très grand talent. C'étaient souvent des femmes mariées à des hommes peintres et qui menaient leur carrière tout en étant mariées.

Ce sont des tiges de lotus à l'automne qui sont cassés et en train de se dessécher. La composition est d'une hardiesse extraordinaire, parce que là il n'y a pas de fond, c'est le papier blanc. Et elle s'en sert.

C'est très intéressant de voir comment les tiges arrivent, se brisent. Là il y a un lotus dont il ne reste qu'un pétale.

À droite vous avez une tige de lotus qui monte jusqu'à sa feuille tout en haut à gauche. Mais tout est faux parce que la valeur de cette feuille est claire et même quasiment blanche, et la partie de la feuille qui est derrière est noire. Donc en fait l'inversion des valeurs montre qu'on est dans un espace qui n'est pas duel : le proche et le lointain s'échangent puisque le proche se trouve optiquement derrière la tache noire.

Comme disait Giacometti il faut d'abord peindre selon ce que l'on voit. Et c'est à partir du moment où on sait mettre les valeurs les unes par rapport aux autres, qu'à un moment donné, si on est dans l'espace non duel, les choses qui devraient être au premier plan sont à l'arrière-plan, c'est-à-dire qu'il y a une inversion des valeurs[15].

Cette peinture est encore une peinture de méditation, et elle est extatique. Ce sont des lotus mais ce n'est pas du tout convenu, il y a une grande liberté. Les tiges sont bien à leur place les unes par rapport aux autres, mais la façon dont elles sont arrangées est extrêmement savante. À aucun moment la peintre ne perd de vue que cet espace-là qui est vierge, en fait peut générer – puisque le peintre a tous les pouvoirs –, cet espace non-duel.

Ce tableau était à côté de "La lune claire par une nuit d'automne", ils étaient tous les deux dans le même angle.

Y O : Pourquoi ce que vous ne parlez pas des grues ?

Barbâtre : C'est superbe, mais c'est essentiellement décoratif. Ça avait une fonction très précise dans un appartement mais ça n'illustre pas Dôgen.

Y O : Il faut avoir l'œil pour voir tout ça !

Barbâtre : Ça ne suffit pas. Je pense que s'il n'y avait pas eu la pratique du zen et l'interrogation pour mon propre travail, je n'aurais pas vu ça.

Et c'est quand même difficile à décrypter. Par exemple dans la peinture avec la lune, découvrir comment la lune est touchée par la plante à un moment où il y a une rupture, ça, c'est tout à fait extraordinaire. En effet on ne le voit pas d'emblée, il faut vraiment s'approcher pour le voir. Là aussi il y a une délicatesse incroyable. Au niveau du tracé il n'y a aucune erreur possible, et au moment où il peignait ça, la lune le touchait.

 

7) Baigneuses de Cézanne.

Barbâtre, 02-02-2015, Institut d'Etudes Bouddhiques 4Pour finir je ne peux pas résister au plaisir de vous montrer la révolution cézannienne.

Voilà une étude de baigneuses de Cézanne où on a ce personnage à gauche qui est, comme le bambou, absolument fabriqué par le fond. En effet, là aussi, il y a des problèmes de valeurs.

Le ciel [à gauche de la reproduction, sous le bras du personnage] quand on regarde simplement sa valeur, ça va en avant de cette partie-là [le dos du personnage].

Il y a un très léger modelage, mais en fait tout est plat, enfin ce n'est pas voulu comme volume. Ce qui était capital pour Cézanne, c'était : comment faire advenir les choses à partir du fond ? C'est le fond qui devait créer le corps.

La révolution cézannienne c'est une révolution qui est celle du bambou, elle est arrivée inopinément. Et Cézanne peint avec de la peinture à l'huile, donc il y a une matière à transformer, tandis que pour le bambou il n'y a pas de matière, il y a de l'encre et de l'eau. C'est là tout le problème de la peinture, c'est qu'à partir du moment où il y a une matière très lourde de pigments dans de l'huile, il faut la transformer pour qu'elle devienne lumière. Et là c'est double travail. Alors que pour les peintures japonaises, dès le départ comme l'art de la calligraphie est intimement lié à l'art du pinceau, il n'y a pas de rupture entre l'art d'écrire et l'art de peindre.

P F : Est-ce que inversement Cézanne a été influencé par le travail réalisé au Japon ?

Barbâtre : On ne sait pas. On suppose que, comme les autres, il a vu des estampes japonaises au moment où tous les peintres en avaient. En effet quand on achetait du chocolat on avait droit à une estampe, il y avait des magasins pour ça.

Van Gogh avait une collection d'estampes. Mais pour Cézanne, on ne sait strictement rien, il n'en a jamais parlé. À mon avis, il en a vu. Et n'empêche qu'il a fait quelque chose de tout à fait neuf.

► Du point de vue technique, pour le bambou, le fond est produit en même temps que le…

Barbâtre : Oui, c'est ça. Et c'est ce qui est inimaginable, c'est que lorsqu'il peint cette partie-là [les feuilles de bambou du tiers inférieur], comme c'est noir, il y a du blanc tout autour qu'on ne retrouve pratiquement plus ici [les feuilles du tiers supérieur], parce que ce n'est pas la même valeur..

Il a peint son fond sans doute avec une brosse assez large, et de façon très hardie [Barbâtre fait un grand mouvement de gauche à droite et de droite à gauche], mais il laisse une aura autour de la partie la plus noire [Barbâtre montre la petite feuille à gauche en bas] parce que la valeur du noir a besoin d'un peu de blanc pour mieux ressortir. Mais ici, comme le bambou s'éloigne, les valeurs s'estompent et il n'y a pratiquement plus de marge de blanc. Et ce qui est extraordinaire c'est que tout a été peint simultanément.

J D : Dans le washi[16] il y a une symbiose de l'encre avec le papier. C'est le côté très velouté, très vivant de la relation intime de l'encre avec son support. Alors que, dans une peinture à l'huile, la peinture ne rentre pas dans le support.

Barbâtre : Dans les peintures à l'huile, la peinture est réfléchie.

J D : Et pour le bambou on voit la vitesse du pinceau, ce qui donne la partie où les encres manquent.

Barbâtre : C'est très peu encré.

F F : C'est comme pour la calligraphie.

Barbâtre : Oui, c'est le même monde.

J D : D'ailleurs en japonais c'est le même mot kaku [書く] qui signifie écrire et peindre.

► Merci beaucoup François, c'était vraiment une très belle sélection.

 

 

 

COMPLÉMENT :

Sur des peintres américains, chinois contemporains

Extrait de la dernière séance de Sansuikyô (03/02/2014)

 

Barbâtre : Il y a une chose qu'on a évoquée pendant cette lecture de Sansuikyô, c'est le problème de la profondeur et de la surface. Ça me fait penser que la nature de bouddha n'existe pas en soi. Et c'est ce qui faisait dire à un peintre comme Giacometti (qui savait de quoi il parlait) : « l'espace n'existe pas ». Autrement dit, l'espace, en soi, n'existe pas.

À ce sujet je pense à cette école américaine où les peintres ont essayé de peindre la nature de Bouddha en elle-même : puisque toute chose vient de la nature de Bouddha, si on peint la nature de Bouddha, on peint le monde. Mais ceci est très contestable même si ça a donné de très beaux tableaux. C'est l'histoire de Pollock. Il s'inscrit dans une interrogation comme celle-là. Les tableaux sont surprenants de dynamisme. L'idée est de peindre le fond. Et si on peut peindre ce souffle-là, ce vent, cette eau qui s'écoule tout le temps, on peint la source de toutes choses ; donc pourquoi peindre les choses ? Malheureusement les choses existent en fonction de ce fond, et ce fond existe en fonction d'elles. C'est shiki soku ze ku, ku soku ze shiki. Et si on l'oublie c'est un grand péché d'orgueil, c'est la chute en enfer. D'ailleurs ces peintres-là se suicident.

► C'est le cas de Rothko[17] ?

Barbâtre : Bien sûr. Et on ne touche pas à ces gens-là, parce que ce sont des idoles, c'est de l'argent, on ne peut pas les mettre par terre.

Heureusement des générations sont en train de se mettre en place en Chine avec des peintres chinois qui ont parfaitement assimilé l'art occidental, aussi bien ancien (celui qui se trouve en Italie) qu'aux États-Unis. Ils refont une peinture traditionnelle totalement différente, mais avec des objets et des choses tout à fait surprenants. Ce sont des peintres qui ont une soixantaine d'années et qui vivent en Chine. Ils sont ultra célèbres en Chine, ce sont des maîtres qui ont des fortunes.

Le dernier qui a été montré au musée Guimet en 2012 – mais le musée Guimet n'a pas eu les moyens de faire sa publicité – c'est Zeng Xaojun (né en 1954) qui a peint une glycine de 8 m 93 de long sur 2 m 40 de haut, en lavis traditionnel, et c'était extraordinaire. En effet autrefois il avait fait une copie d'une peinture de glycine qui avait 500 ans ; et quand il a voyagé en Occident, il a découvert à Rome, dans le jardin de la villa Giulia, une glycine qui avait 500 ans, et il en a fait le portrait. C'est cette glycine qui était exposée au musée Guimet, mais au travers d'une vision autant occidentale qu'orientale. C'est-à-dire que là où il y avait un volume (pour le tronc d'arbre) il y a le volume mais sans éclairage, ce qui est extraordinaire : autrement dit il n'y a pas ombre et lumière qui donne le volume, et je n'ai pas compris comment il a fait ce volume ! Il a fallu que j'y retourne plusieurs fois, et je me suis dit que là il s'est passé quelque chose de complètement nouveau qui va renverser toutes les spéculations de cette peinture américaine. Et ça se passe en Chine actuellement.

 

 

Liste des peintures évoquées

Sauf la première et la dernière elles viennent du musée Cernuschi

 

1/ Chou-fleur de Raymond Mason, (1922 - 2010), collection particulière.

2/ Fleurs et oiseaux des 4 saisons (deux reproductions), de Nabayashi Chikutô (1776-1853),

3/ Paon et Pivoines de Maruyama Ökyo. Rouleau vertical (kakemono), encre et couleurs, lavis d’or sur soie. 135 x 70,6 cm. Daté de 1768.

4/ Aigrettes et martin-pêcheur parmi les lotus de Okamoto Shūki (vers 1807-1862). Rouleau vertical (kakemono), encre et couleurs sur soie. 120 x 49,4 cm.

5/ Bambous dans la tourmente de Ike no Taiga (1723-1776). Rouleau vertical (kakemono), encre et lavis bleu sur papier. 129,9 x 46,6 cm.

6/ Lune claire par une nuit d’automne de Tani Bunchō (1763-1840), peint en 1817. Peinture en largeur (yokomono) montée en rouleau vertical (kakemono), encre sur soie. 82,8 x 168 cm.

7/ Pruniers en fleurs dans la brume et dans la neige de Matsumura Goshun (1752-1811) : (un deuxième panneau allait avec).

8/ Oies sauvages sous la lune d'automne de Kôno Bairei (1844-1895) peint en 1893.

9/ Lotus en automne de Okuhara Seiko (1837-1913) peint en 1872. Poème autographe : « Mon esquif glissant joyeusement sur l'eau, je remets le retour à plus tard. La lune est suspendue dans le ciel parfumé de lotus à des lieues à la ronde. »

10/ Oiseaux sur une branche sous la neige de Ganku (1749 ou 1756-1838). Encre sur soie (C'est la moitié supérieure de la peinture).

11/ Baigneuses, étude de Cézanne.



[1] L'exposition a eu lieu du 19/09/2014 au 11/01/2015. Les œuvres présentées faisaient partie de la collection de Robert et Betsy Feinberg.

[2] Cf http://www.tiensetc.org/barbatre-p13565 . Par ailleurs le site de barbâtre : .http://www.barbatre.com/

[3] « Comme le fond reste encore dans la mer desséchée et que le cœur doit rester à la mort d'un homme… » (Maître Dôgen, Hotsumujôshin, le déploiement du cœur sans au-delà, p. 184 de la traduction de Yoko Orimo).

[4] D'après Internet il était devenu l'ami dePicasso, Giacometti, Duchamp, Balthus, Francis Bacon, Cartier-Bresson, Pierre Matisse.

[5] « Peindre un tuyau de poêle, c’est peindre un arbre, un cylindre. Comment le peindre ? Le peindre traditionnellement, avec un éclairage à l’extérieur et une ombre, c’est comme ça que l’on donne un volume. Mais si on travaille dans le sens de la peinture chinoise, il n’y a pas d’ombre, il n’y a pas d’éclairage, il ne peut pas y avoir de volume, comment faire ? Donc à ce moment-là on regarde comment un Chinois peint un tronc d’arbre et on commence à comprendre qu’il s’agit d’autre chose. On a affaire à un jeu fond-forme, forme-fond, avec des ruptures, toutes sortes de possibilités qui sont autant d’accès. » (Barbâtre, entretien du 26 mars 2004).

[6] Du latin fons : fontaine, source

[7] Lors d'une conversation il disait : « Il n'y a pas de fond dans ma peinture. Les objets ne sont pas sur un fond. Ils participent du fond. Ils participent d'une eau matricielle. Ils baignent. J'ai commencé à faire des natures mortes en sachant cela. (…) Les objets sont des illusions, ils sont des masques, ils n'ont pas d'existence propre. Ils n'ont pas plus d'existence que le fond. Un peintre ne peut être vraiment peintre qu'en donnant corps à ce qu'il sait n'être qu'une illusion. » (Paris rue Greneta, octobre 1984).

[8] « La question du sans appui, à l’image des Six kakis m’accompagne depuis 1960. Des peintres par le passé, en Chine, l’ont abordée et visiblement résolue. C’était une question de fond, plus précisément de fond comme source de toute chose. » (Barbâtre d'après son site http://www.barbatre.com/archives/category/textes  ). Cf "Six kakis" peinture chinoise commentée par Barbâtre.

[9] Barbâtre a déjà parlé de cela l'année précédente, et ce qu'il a dit est mis en complément à la fin.

[10] Barbâtre fait souvent des réflexions au sujet des peintres d'aujourd'hui qui voient plat. Dans une lettre à Jean Daive (04/05/2012) il précise ceci : « Non pas que la distance donnée par notre œil soit ignorée, ce qui serait absurde, mais parce que la profondeur, qui va à l'encontre du voir plat, veut dire voir toutes choses et soi-même non-séparés, sans confusion. »

[11] « Qu’est-ce qui fait qu’un Chardin et tous ces peintres d’alors sont absolument uniques ? C’est qu’ils introduisent la transparence, par des glacis, par toutes sortes de procédés, des vernis. Ce qui donne de la profondeur ou un volume c'est l’éclairage. À partir du moment où on ne met plus ça en pratique – Matisse ou Picasso cherchent tout à fait autre chose dans la technique – alors toute cette vision s’effondre, et rien ne l’a remplacée. Et on est tombé dans une vision plate. On voit plat. En plus, les peintres travaillent maintenant d’après photographie, un document mort. Il y a là quelque chose de perdu et qui n’est plus compris. Ce qui explique sans doute qu’il y ait si peu de peintres qui soient adhérents à une petite association qui s’appelle l’ARIPA (Association pour le Respect de l’Intégrité du Patrimoine Artistique). Il s’agit de quelques peintres qui se sont réunis pour pousser un cri d’alarme vis-à-vis des restaurations abusives. Restaurations où on enlève tout, notamment tous ces glacis. Et donc toute la raison d’être de ces tableaux disparaît.» (Barbâtre, entretien du 26 mars 2004).

[12] Allusion à : « Bien que l'un et l'autre s'accomplissent et mûrissent grâce au zèle et à l'application constante, il doit exister une grande différence entre faire advenir le cœur en le triturant, et se laisser triturer et advenir par le cœur » (Maître Dôgen, Hotsumujôshin, Le déploiement du cœur sans au-delà, p. 184 Yoko Orimo tome 1).

[13] « Lorsqu’on peint de face, on a le soleil dans le dos qui éclaire l’arbre et toi, le peintre, tu es au centre. Mais si tu peins à contre-jour, l’éclairage est derrière l’arbre, ce qui est au centre c’est l’objet, et toi tu es en dehors, à la périphérie. Le problème c’est d’arriver au fait que l’arbre fait obstacle à la lumière, arriver à voir — par cette métaphore de l’éclairage à contre-jour — que la lumière est à trouver quelque part, dans la lumière de la lumière, le chemin de la lumière. » (Barbâtre, entretien du 26 mars 2004).

[14] L’Hannya Shingyo ou sutra du cœur, est récité tous les jours dans les temples zen.

SHIKI SOKU ZE KU, KU SOKU ZE SHIKI qu'on traduit n général par « la forme n'est pas différente du vide, le vide n'est pas différent de la forme ».signifie pour Barbâtre « la forme n'est pas différente du fond, le fond n'est pas différent de la forme ».

[15] « La valeur c’est ce qui va déterminer le proche et le lointain en fonction de la saturation, ou par rapport au noir. Le blanc serait le lointain, et plus tu te rapproches plus ce sera noir. Et tu as le même phénomène pour les couleurs, selon leur saturation. Quand tu te promènes en forêt, que tu trouves ensemble un chêne et un bouleau. Le bouleau est au premier plan et le chêne au second plan. Si tu fais uniquement référence aux valeurs des choses, le bouleau va apparaître derrière le chêne, parce que l’écorce du chêne est plus foncée que l’écorce du bouleau. Comme ton cerveau sait qu’il y a dix mètres entre les deux, et que le bouleau est au premier plan, tu le mets de toute façon au premier plan. Mais si tu fais l’exercice de ne regarder les choses que selon les valeurs, en faisant abstraction de la distance, tu verras le bouleau derrière le chêne. Et c’est ça que ton œil voit. Et, à partir de ce moment-là, où est le proche, où est le lointain ? Ça, ce sont des phénomènes que les peintres doivent voir, sur lesquels ils doivent s’appuyer. Parce que quand tu te fies à ça, tu débouches naturellement sur un espace où il n’y a plus de proche et de lointain et où, en même temps (c’est ça qui est difficile à comprendre), il y a un proche et un lointain. C’est-à-dire que le bouleau est là, au premier plan, et le chêne est à sa place, et, en même temps, le bouleau est derrière. C’est complètement paradoxal. Ce qui importe c’est cet espace paradoxal. Et le fond, le fameux fond qu’on écrit avec un t mais aussi avec un d, entre deux boîtes il va être devant et derrière, et pour l’objet, ou pour certaines parties de l’objet, même chose. Certains plans de l’objet vont être derrière le fond qui est pourtant là comme font, comme source. Et l’objet y retourne et s’y alimente. Et, cependant, c’est statique.» (Barbâtre, entretien du 18 décembre 2004)

[16] Le papier japonais utilisé pour la peinture et la calligraphie.

[17] Mark Rothko né en Lettonie, en 1903 se suicidera en 1970 à New York.

 

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