Poèmes-variations sur le verset trituré dans Tenbôrin
Atelier Shobôgenzô à l'Institut d'Études Bouddhiques du 17 décembre 2012
Animé par Yoko Orimo
Verset trituré dans Tenbôrin
(La Rotation de la roue de la Loi)
Poèmes-variations sur ce verset
Présentation :
Extrait du compte-rendu du 2ème atelier sur le texte Tenbôrin (La rotation de la roue de la Loi) du 17/12/2012
À la suite de maître Dôgen les participants aux ateliers de lecture du texte Tenbôrin ont été invités à écrire des poèmes. Les deux derniers poèmes ont été ajoutés après la séance. Dans la transcription ne figurent pas les approbations de Yoko après la lecture des poèmes, il y a seulement quelques échos des uns et des autres.
La photo qui figure dans ce message a été prise à Sanchi lors du voyage en Inde organisé par l'Institut d'Etudes Bouddhiques en mars 2013.
Christiane Marmèche
Verset initial :
« Si une seule personne déploie le Vrai et retourne à la source,
le méta-espace des dix directions disparaîtra sans reste dans un effondrement ! »
(Verset tiré du Sûtra de la Marche héroïque qui est un texte apocryphe donc une "fausse écriture").
Cinq triturations de ce verset par des maîtres cités dans le désordre.
« Si une seule personne déploie le Vrai et retourne à la source,
le mendiant casse son bol à aumône ! » (Tendô Nyojô).
« Si une seule personne déploie le Vrai et retourne à la source,
le méta-espace des dix directions se heurte avec fracas ! » (Goso Hôen).
« Si une seule personne déploie le Vrai et retourne à la source,
le méta-espace des dix directions n'est autre que le méta-espace des dix directions. » (Busshô Hôtai).
« Si une seule personne déploie le Vrai et retourne à la source,
le méta-espace des dix directions pose une fleur sur le brocart. » (Engo Kokugen).
« Si une seule personne déploie le Vrai et retourne à la source,
le méta-espace des dix directions déploie le Vrai et retourne à la source. » (Maître Dôgen).
Yoko Orimo : Je vais dire un mot sur les cinq maîtres qui sont là : maître Tendô Nyojô (1163-1228) ; Goso Hôen (mort en 1104) ; Busshô Hôtai (on ne connaît ni la date de sa naissance ni la date de sa mort) on sait qu'il était un disciple de maître Engo qui est cité après ; maître Engo Kokugen ( 1063-1135) est un disciple de Goso Hôen ; et le cinquième personnage c'est maître Dôgen lui-même (1200-1253) qui se donne l'appellation "Grand Éveillé", du nom de son second monastère qui était en construction en 1244. [De plus Tendô cite une parole de son propre maître qui est Seccho Chōken].
Est-ce que vous pouvez dire un mot concernant ces maîtres qui défilent en tant que personnages ?
► C'est dans le désordre.
Y O : Tout à fait et c'est très important. Déjà pour le recueil Shôbôgenzô les productions des 92 textes sont compilées d'une manière non chronologique. De la même manière ces cinq maîtres qui sont là, c'est dans un ordre non chronologique.
On peut remarquer aussi que Tendô Nyojô qui est le maître de maître Dôgen, donc le maître du maître est tout à fait au début et Dôgen vient à la fin. Les trois qui sont au milieu forment une lignée de maître à disciple mais dans un sens non chronologique.
Et je veux dire aussi qu'il y a à la fois la lignée Sôtô (Seccho Chōken,Tendô Nyojô, Dôgen) et la lignée Rinzai (Goso Hôen, Engo Kokugen, Busshô Hôtai). Maître Dôgen n'est jamais sectaire. Dans les écritures qu'il relève, triture, transforme et interprète, il y a les corpus de toutes les traditions (petit Véhicule, grand Véhicule…) et d'autre part c'est toujours traité d'une manière non chronologique.
Travail demandé par Yoko Orimo :
À l’instar des cinq variations présentées au début du texte, essayez de composer vous-même une autre variation du verset tiré du Sûtra de la Marche héroïque.
Voici la règle du jeu : vous voyez qu'il y a deux propositions dans ce verset et que chacun des maîtres garde la première mais transforme la deuxième, c'est ce qu'il faut faire.
L'unique moyen de tourner la roue de la loi c'est d'entrer dedans et c'est pour ça que je vous ai demandé de composer un poème. Grâce à cela vous entrez dans l'univers des paraboles pour tourner ensemble avec maître Dôgen et avec tous les patriarches, la roue de la Loi.
Il s'agissait donc de prendre le même début que le verset initial trituré par les patriarches, et de mettre une nouvelle conclusion.
Triturations de ce verset par les participants de l'atelier
« Si une seule personne déploie le vrai et retourne à la source,
Le méta-espace des 10 directions reparaît entièrement dans une clarté nouvelle. » (Michel Bitbol).
Commentaire : C'est l'idée selon laquelle avant une étape de profonde pratique ou bien l'atteinte de l'éveil, les montagnes sont des montagnes, les fleuves sont des fleuves ; ensuite les montagnes ne sont plus des montagnes et les fleuves ne sont plus des fleuves ; et dans un troisième temps les montagnes redeviennent des montagnes et les fleuves redeviennent des fleuves. Donc si on admet que le verset initial disait que toute la mise en forme du monde s'effondrait sans reste à partir du moment où on avait atteint l'éveil, ici, lorsqu'on on l'a complètement accompli, tout redevient pas tout à fait comme avant, mais d'une certaine façon les formes elles-mêmes deviennent quelque chose qui participe de l'état en question.
Y O : C'est ce qu'on a vu dans les trois versets initiaux du Genjôkôan.
« Si une seule personne déploie le vrai et retourne à la source,
Authentique et contrefaçon ne seront plus pour elle que des dénominations. » (Aurélien).
Commentaire : Le caractère authentique ou contrefait existe d'un point de vue historique contextuel puisqu'il y a des vrais sûtra et des apocryphes. Mais pour celui qui a réellement, par sa pratique, déployé le vrai et retourné à la source, qui a une véritable pratique, ça n'a plus aucune importance, c'est n'importe quel sûtra qui devient réellement vrai.
« Si une seule personne déploie le vrai et retourne à la source,
Empli du méta-espace des dix directions, telle une fleur sur le brocart le mendiant délaissant son bol à aumône se pose shikantaza. » (Patrick Michel)
Commentaire : Je pose en une allégorie de la quête spirituelle le couple mendiant / bol à aumône. Quête qui aboutit à être assis sans rien faire, sans chercher à résoudre un problème ou obtenir quoi que ce soit, déployant par là-même le vrai et retournant à la source.
« Si une seule personne déploie le vrai et retourne à la source,
Le chauve perd la tête. » (Anne).
Commentaire : Ce qui m'a fascinée c'est le fait qu'en utilisant des images, on n'a pas forcément besoin de comprendre le sens. Ça permet de reproduire, et en reproduisant, malgré tout, on s'approche d'un sens et je trouve ça étonnant. J'ai donc fait le parallèle avec le bol du mendiant qui est cassé. En effet la tête pour un chauve c'est ce qui le définit, et en plus « si tu perds la tête, tu meurs ». Et pour finir la tête c'est ce qui permet d'intellectualiser les choses.
« Si une seule personne déploie le vrai et retourne à la source,
Sans objet où se poser l'œil mesure sa propre épaisseur. » (Florence).
Commentaire : J'ai voulu faire un parallèle avec la 1ère partie de la phrase parce que « déployer le vrai » c'est déployer tous les phénomènes, tout ce qu'on peut voir autour de nous, mais le voir peut-être différemment. Et la deuxième partie c'est une idée de réflexion sur soi-même, réflexion au sens intellectuel et au sens de "se réfléchir" comme si le soi se réfléchissait sur lui-même.
« Si une seule personne déploie le vrai et retourne à la source,
Le visage sans visage du monde sourit. » (François Marmèche).
Commentaire : On rejoint l'apparence, l'apparence fausse et l'apparence vraie, « le visage sans visage du monde », et on rejoint la source par le sourire.
► Ça rappelle Lewis Carroll : « J'ai souvent vu un chat sans un sourire, mais jamais un sourire sans chat. »
► Il y a une autre phrase aussi « Bienheureuse Alice qui voit le rien »
« Si une seule personne déploie le vrai et retourne à la source,
Le langage est crucifié dans ce moment crucial. » (Christiane Marmèche).
Commentaire : J'ai voulu traduire l'effondrement de tout, car le langage c'est ce qui nous porte tous, sans langage on n'est rien. J'ai ajouté « dans un moment crucial » pour redoubler la crucifixion, en sachant en plus que dans la crucifixion il y a la résurrection, puisque crucifixion et résurrection sont les deux faces d'un même événement.
Y O : Ce que Christiane dit dans son poème correspond à mon interprétation de Tenbôrin.
« Si une seule personne déploie le vrai et retourne à la source,
Le méta-espace des 10 directions se trouvera au rayon des jouets pour enfants juste à côté des Playmobil. » (Patrick Ferrieux).
Commentaire : Finalement le méta-espace des 10 directions, cette espèce d'analyse articulée du monde, est une façon de jouer avec la réalité qu'on perçoit ; et ça n'est que "une" façon de jouer, il y en a d'autres, et toutes les façons de jouer sont rangées comme des kakis. Ce sont des jouets pour enfants car ce sont des enfants qui, dans la Voie, se préoccupent de l'analyse du monde tel qu'il est, tel qu'il se présente dans les 10 directions, sans regarder l'autre aspect des choses. On joue ensemble, ça fait partie aussi de la vie.
« Si une seule personne déploie le Vrai et retourne à la source,
À ce moment, le tableau de la Joconde baisse les yeux.
Si une seule personne déploie le Vrai et retourne à la source,
Alors, comme dit la chanson, "des atomes, fais ce que tu veux".
Si une seule personne déploie le Vrai et retourne à la source,
Six cent milliards de milliards de neurones humains font la fête.
Si une seule personne déploie le Vrai et retourne à la source,
Dès lors, pour toutes recherches, Google affiche en réponse le kanji KÛ 空,
et l'incompréhension disparait sans aucun bruit. » (Raphaël Dubois).
Note : La chanson citée est celle d'Alain Bashung Résidents de la République
« Si une seule personne déploie le Vrai, et retourne à la source,
une épingle à cheveux à la main, danse la nonne avec le méta-espace des dix directions.» (Yoko Orimo).
Commentaire : Pour les bouddhistes, la tonsure signifie le vœu de l'abandon et du renoncement radical à soi. Pour la femme, c'est aussi le renoncement à sa féminité. La tête de la nonne sans cheveux ne réserve plus aucune prise à l'épingle à cheveux, ornement symbolisant la coquetterie féminine. Et pourtant, au lieu de la rejeter au loin, la nonne la tient à la main et danse en liberté souveraine avec le méta-espace des dix directions, qui nous échappe toujours, lui aussi, comme la tête de la nonne si nous voulons le saisir. Si j'identifiais la nonne qui danse à maître Dôgen, et l'épingle à cheveux ornementale à son langage poétique, qu'en diriez-vous ?