C R : Intro Genjôkôan_ 20/10/2012
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La première partie de la séance du 20/10/2012 a donné lieu à un premier compte rendu. Celui-ci en est la suite, un troisième vient ensuite. Sauf rares exceptions (surtout pour Patrick Ferrieux) les noms des intervenants autres que Yoko Orimo ne sont pas mentionnés, dans ce cas leurs paroles sont précédées du sigle ►. La 1ère partie est l'introduction au Genjôkôan ; la deuxième partie concerne l'étude du mot hô / dharma, la 3ème partie est l'étude du titre Genjôkôan (qui a été faite en fin de séance).
Dans le fichier joint au-dessus vous avez ce qui est dans ce message et en plus vous avez des dessins et des tracés (qui sont trop difficiles à insérer sur le blog).
Christiane Marmèche
Première partie : introduction au Genjôkôan
1°) Le Genjôkôan ; sa relation avec la compilation du Shôbôgenzô.
Yoko Orimo : Dans le fichier qu'on vous a envoyé il y a quatre pages d'introduction avant la traduction du Genjôkôan. Si vous avez lu cette introduction vous avez vu que le Genjôkôan est récapitulatif et que c'est un texte qui à l'origine n'a pas fait l'objet d'une instruction collective. Dôgen était jeune, il avait 33 ans quand il a écrit le Genjôkôan pour l'offrir à son disciple fidèle, le laïc Yôkôshû. Par rapport au Zazengi qu'on a vu la dernière fois il y a 10 ans de différence parce que Zazengi fut réalisé en 1243 et Genjôkôan en 1233.
Maître Dôgen est allé en Chine en 1223 et est revenu au Japon en 1227. Ensuite il nage un petit peu parce qu'il ne sait pas comment faire. Et en 1233 il écrit le Fukanzazengi (la recommandation universelle de la méditation assise) qui est une sorte de manifeste doctrinal de la méditation assise (zazen). C'est la même année (1233) qu'il écrit le Genjôkôan. Il n'a que 33 ans mais est déjà en pleine maturité.
Le Genjôkôan est placé tout au début du recueil Shôbôgenzô qui compte au total 92 textes. En fait c'est un peu plus compliqué parce qu'il y a l'ancienne édition qui comporte 75 textes, la nouvelle édition qui comporte 12 textes de plus, et il y a 5 textes supplémentaires.
Dans le Shôbôgenzô il y a des textes qui ont été exposés et qui n'ont jamais fait l'objet d'instruction collective comme Uji (le temps qu'il y a) qui est un pur écrit, et le Genjôkôan aussi. Ce qu'on peut dire par là, c'est très important et intéressant, c'est que la compilation (ou la composition) du Shôbôgenzô est comme notre vie elle-même : le circonstanciel y joue un rôle essentiel.
Dôgen n'a pas compilé le Shôbôgenzô comme ceci : « Voilà, j'ai conçu un grand plan et tout est déjà organisé ». Pas du tout. Lorsqu'il a écrit par exemple le Genjôkôan je suis sûre qu'il n'avait pas idée de recueillir dans un seul ouvrage ce texte avec tous les autres textes, c'est un écrit de circonstance. C'est au fur et à mesure qu'est apparue cette idée de compiler, de rassembler des textes qui avaient été écrits ou exposés avec le temps, selon les circonstances, que l'œuvre s'est réalisée. Ce n'est pas : au point de départ il y a idée. Non. C'est avec le temps, selon les circonstances, que ça a été réalisé.
2°) En toile de fond : la poésie extrême-orientale
Dans le Shôbôgenzô la toile de fond joue un grand rôle, c'est ce que j'appelle le champ lexical de la poésie extrême-orientale. Ça s'appelle ka chô fû getsu 花鳥風月: les fleurs, les oiseaux, le vent et la lune (tous ces mots sont en lecture on). Ce sont tous les éléments qui composent la poésie extrême-orientale. Vous allez voir que dans le Genjôkôan maître Dôgen prend ces clichés de la poésie lyrique tout en les transposant dans le discours argumentatif et sotériologique (qui concerne le salut c'est-à-dire l'éveil) de la doctrine bouddhique.
Ces quatre éléments sont des clichés qui composent la poésie. Mais en fait ka chô fû getsu ça fait un seul mot.
► Est-ce que ces termes sont utilisés en poésie en voulant exprimer d'autres notions ?
Y O : Oui aussi. Mais dans la poésie française c'est pareil : la rose symbolise beaucoup de choses (par exemple la rose est belle puis elle se fane, donc il faut rêver maintenant…) c'est dans ce sens-là.
► Par exemple dans la poésie japonaise on a le symbole de la falaise et on dit que ça représente le corps du méditant.
Y O : Non, ça c'est autre chose parce que là c'est déjà une métaphore. Les quatre éléments ici, ça peut être une métaphore mais ça peut être la chose de la nature en tant que telle.
Dans la poésie japonaise, à coup sûr, il y a un de ces éléments-là. Par exemple il y a des fleurs pour parler de la jalousie ou de l'amour ; des oiseaux pour parler de la liberté ; le vent pour dire par exemple le souffle ; la lune pour dire la beauté….
3°) Le Genjôkôan est un discours de l'Éveil.
Au niveau de la construction, tout au début, il y a un quatrain (quatre versets) extrêmement dense, et à la fin il y a un kôan concernant la pratique. Ça c'est le discours de maître Dôgen.
En fait je dis « le discours de maître Dôgen » mais en réalité le Genjôkôan est un discours de l'Éveil : entendons bien ici, la préposition 'de' dans « discours de l’Éveil », ce "de" n’introduit pas un complément de nom, mais correspond à un génitif de possession. Ce n’est pas maître Dôgen, mais l’Éveil qui discourt de l’Éveil lui-même, et maître Dôgen en tant que sujet de l'œuvre disparaît. C'est un texte profondément contemplatif où l'Éveil expose l'Éveil dans l'univers de l'Éveil.
P F : Ce n'est pas : « Moi je suis Dôgen et je vais vous expliquer ». Il produit un texte comme si c'était l'Éveil lui-même qui s'exprimait.
Y O : C'est ça. Au début du zazen vous expérimentez un peu ça.
Deuxième partie : Le dharma / hô
Je vais dire ce que signifie le mot dharma et donc aussi le terme japonais hô correspondant parce que ça concerne le Genjôkôan.
1°) Dharma.
Est-ce que Martine peut nous dire ce que signifie dharma ?
M : Dharma a plusieurs sens. C'est :
1. La loi universelle, la loi naturelle (et ceci n'est pas propre au bouddhisme) ;
2. L'enseignement du Bouddha (ça c'est proprement bouddhique) ;
[Y O : En fait ce n'est pas spécifiquement bouddhique parce que sur le plan étymologique dharma comprenait l'enseignement et pas spécifiquement celui de l'Éveillé (Bouddha)]
3. On parle aussi des dharma, ça désigne tous les phénomènes existants ;
et aussi on parle d'actes dharmiques qui sont des actes en accord avec l'enseignement, avec la loi.
Y O : Tout à fait. Le mot dharma (en pali c'est dhamma) englobe tout ce qui est fixé par la loi. Il y a le radical DHṚ qui veut dire fixer (sans voyelles c'est difficile à prononcer). Donc dharma c'est extrêmement global : nous sommes dharma nous aussi comme Martine vient de le dire ; l'enseignement, la méthode, la règle, la convention… tout ça c'est le dharma.
2°) Hô (ou Bô) 法
Maintenant dans l'écriture sino-japonaise, sur le plan doctrinal, on a introduit le terme hô (en chinois ça se prononce différemment).
a) Forme initiale 灋.
J'écris d'abord ce caractère dans la forme initiale qui est très compliquée : 灋
- il y a un radical qui concerne l'eau. Vous avez appris le kanji de l'eau 水 et ici c'est stylisé. Il y a beaucoup de caractères qui comportent ce radical (cette clé). Il s'agit de l'eau et ça peut être la mer, la rivière etc. Tous les caractères qui concernent l'eau s'écrivent avec ce radical.
- Dans le deuxième morceau une partie représente un animal mythique moitié cerf moitié cheval, c'est la combinaison de deux caractères ; et l'autre partie est un idéogramme qui veut dire "renfermer".
Donc d'après son étymologie, ce caractère sino-japonais hô voulait dire : un animal mythique moitié cerf / moitié cheval est renfermé dans une petite île au milieu de l'eau. Cet animal peut apprécier pleinement tout ce que la vie lui donne tant qu'il ne sort pas de cette île (il est enfermé), mais du moment qu'il sort de l'île il doit mourir.
C'est ça le sens étymologique de la loi et c'est très parlant : la loi c'est une contrainte, mais c'est aussi la source de la liberté. C'est comme le code de la route : tant qu'on le respecte tout le monde a la liberté de circuler, mais ça n'empêche pas que ce soit une contrainte.
Et l'animal est content, il est très heureux dans son île. C'est-à-dire que la loi est une contrainte mais qu'elle est utile pour la liberté.
b) Forme simplifiée 法.
On va écrire la forme simplifiée. En effet, la forme initiale est tellement compliquée qu'on l’a stylisé et dans la simplification on n'a pas repris tous les éléments.
Donc ce mot hô comme le mot dharma veut dire à la fois la loi, les existants, la méthode, l'enseignement, la règle, la convention, tout ça. C'est polysémique.
Vous allez voir dans le Genjôkôan les différentes traductions.
Dans Genjôkôan il y a quatre caractères et cela se découpe en deux parties genjô 現成 et kôan 公案.
1°) Le terme kôan.
Y O : Vous connaissez tous ce terme de kôan, c'est presqu'un mot français. Christiane comment recevez-vous le terme de kôan ?
C M : Les kôan sont souvent des histoires qui ont été faites par d'anciens maîtres, et qui après ont donné lieu à un travail avec un maître quand on est en seshin.
Y O : Ce n'est pas faux. Qu'est-ce qu'il y a d'autre comme explication de ce mot ?
► Il a une signification populaire d'histoires incompréhensibles, d'histoires dont la signification défie la logique.
Y O : Dôgen conteste radicalement ce genre d'attitude. C'est pour cela qu'au début de l'atelier je vous ai dit que maître Dôgen est rarement d'accord avec d'autres maîtres.
► D'après la note, les kôan sont des cas publics, ça pouvait être des lois en Chine, des édits impériaux…
Note de Yoko : Le terme kôan 公案 désigne à l’origine un document juridique et, dans la tradition de l’école zen, une sorte d’axiome ou d’énigme que le maître soumet à ses disciples pour que ces derniers le fassent leur à travers leur réflexion personnelle.
Y O : Je vais expliquer ce terme kôan qui est un terme paradoxal :
– Ko 公 Ça veut dire public. En effet c'est un idéogramme composé. Le haut signifie l'ouverture et le reste c'est les bras qui tiennent quelque chose, donc ça désigne "le mien". D'où c'est public puisque « j'ouvre le mien vers les autres ».
– et le caractère an 案 donne le son et donne la signification. Il est composé de trois parties.
- en haut ça désigne un toit donc ça désigne la maison, et en dessous c'est une femme donc ça représente la maison dans laquelle il y a une femme (en l'occurrence l'épouse), et quand il y a l'épouse à la maison, c'est la paix, l'assurance (c'est gentil pour la femme)
- en bas le troisième élément représente un arbre donc c'est du bois, ici ça représente une table (ou un bureau) pour travailler.
Pour an 案 on a donc ces éléments : la femme et le toit (donc une femme qui est à la maison) ; et la femme ou l'homme est devant la table et dans la paix on réfléchit. Donc an veut dire "réfléchir" en tant que verbe et "idée" en tant que substantif (dans le sens de « j'ai une idée » : devant le bureau je réfléchis et voilà, j'ai une idée).
Ici donc an est le domaine particulier, personnel alors que kô c'est public. Et c'est ce que vous pratiquez en seshin : quand le maître donne le kôan à tout le monde, c'est public.
C M : Mais c'est aussi privé.
Y O : Voilà il y a les deux, à la fois public et privé, à la fois pour tout le monde et pour moi. Ça c'est kôan.
Et maintenant j'anticipe un peu : pour maître Dôgen chaque phénomène est un kôan et le cosmos entier est également un kôan et notre vie elle-même est un kôan.
2°) Le terme genjô.
GENJÔ 現成 est également un terme paradoxal parce que :
– le premier caractère GEN 現 veut dire « apparaître, se présenter, présenter » et en tant que substantif, « (le) présent, la manifestation ». C'est un idéogramme composé : la première partie à gauche est la clé, ça représente un joyau, et ensuite il y a de nouveau un caractère composé, en haut il y a l'œil que vous connaissez déjà et en bas il y a l'homme. Donc l'homme voit un joyau apparaître, se présenter.
– JÔ 成 est lui aussi un idéogramme composé : là ce sont deux outils avec lesquels on travaille, et le sens de jô c'est façonner et réaliser, se réaliser ; donc quelque chose qui est vraiment constitutif, qui englobe la réalité intérieure.
Note donné par Yoko dans un texte distribué aux participants : Le verbe jô 成 veut dire « se réaliser, s’achever, s’accomplir », mais aussi « devenir ». Le terme genjô 現成 signifie donc le fait que quelque chose se présente en ce moment devant nos yeux en raison même de la réalisation intérieure de soi.
Donc le premier caractère GEN c'est l'apparence au niveau de la surface et JÔ c'est la réalisation intérieure.
3°) Conclusion
Pendant la première séance j'ai dit : l'univers du Shôbôgenzô est éminemment exotérique, c'est-à-dire l'inverse de ésotérique. Mais si on dit exotérique, c'est dans ce sens, ce n'est pas la surface comme chose superficielle, on a vu qu'au troisième moment logique, il s'agit de la surface retrouvée comme unité de l'extérieur et de l'intérieur, du visible et de l'invisible. C'est chaque phénomène qui se réalise comme présence. Notre vie elle-même, le cosmos entier se réalise comme présence en englobant la totalité de ces trois moments logiques qui n'existent pas, on peut dire aussi comme poésie, comme la réalité qui se reflète dans l'œil de l'Éveillé.
P F : Fantastique ! Merci Yoko, merci à tous.